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  • Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise

     

    Par Bruno Latour

    Philosophe et sociologue

    Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré. L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant.

    Il y a peut-être quelque chose d’inconvenant à se projeter dans l’après-crise alors que le personnel de santé est, comme on dit, « sur le front », que des millions de gens perdent leur emploi et que beaucoup de familles endeuillées ne peuvent même pas enterrer leurs morts. Et pourtant, c’est bien maintenant qu’il faut se battre pour que la reprise économique, une fois la crise passée, ne ramène pas le même ancien régime climatique contre lequel nous essayions jusqu’ici, assez vainement, de lutter.

    En effet, la crise sanitaire est enchâssée dans ce qui n’est pas une crise – toujours passagère – mais une mutation écologique durable et irréversible. Si nous avons de bonne chance de « sortir » de la première, nous n’en avons aucune de « sortir » de la seconde. Les deux situations ne sont pas à la même échelle, mais il est très éclairant de les articuler l’une sur l’autre. En tous cas, ce serait dommage de ne pas se servir de la crise sanitaire pour découvrir d’autres moyens d’entrer dans la mutation écologique autrement qu’à l’aveugle.

    La première leçon du coronavirus est aussi la plus stupéfiante : la preuve est faite, en effet, qu’il est possible, en quelques semaines, de suspendre partout dans le monde et au même moment, un système économique dont on nous disait jusqu’ici qu’il était impossible à ralentir ou à rediriger. À tous les arguments des écologiques sur l’infléchissement de nos modes de vie, on opposait toujours l’argument de la force irréversible du « train du progrès » que rien ne pouvait faire sortir de ses rails, « à cause », disait-on, « de la globalisation ». Or, c’est justement son caractère globalisé qui rend si fragile ce fameux développement, susceptible au contraire de freiner puis de s’arrêter d’un coup.

    En effet, il n’y a pas que les multinationales ou les accords commerciaux ou internet ou les tour operators pour globaliser la planète : chaque entité de cette même planète possède une façon bien à elle d’accrocher ensemble les autres éléments qui composent, à un moment donné, le collectif. Cela est vrai du CO2 qui réchauffe l’atmosphère globale par sa diffusion dans l’air ; des oiseaux migrateurs qui transportent de nouvelles formes de grippe ; mais cela est vrai aussi, nous le réapprenons douloureusement, du coronavirus dont la capacité à relier « tous les humains » passe par le truchement apparemment inoffensif de nos divers crachotis. A globalisateur, globalisateur et demi : question de resocialiser des milliards d’humains, les microbes se posent un peu là !

    Cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme d’atterrissage.

    D’où cette découverte incroyable : il y avait bien dans le système économique mondial, caché de tous, un signal d’alarme rouge vif avec une bonne grosse poignée d’acier trempée que les chefs d’État, chacun a son tour, pouvaient tirer d’un coup pour stopper « le train du progrès » dans un grand crissement de freins. Si la demande de virer de bord à 90 degrés pour atterrir sur terre paraissait encore en janvier une douce illusion, elle devient beaucoup plus réaliste : tout automobiliste sait que pour avoir une chance de donner un grand coup de volant salvateur sans aller dans le décor, il vaut mieux avoir d’abord ralenti…

    Malheureusement, cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme d’atterrissage. Les globalisateurs, ceux qui depuis le mitan du XXe siècle ont inventé l’idée de s’échapper des contraintes planétaires, eux aussi, y voient une chance formidable de rompre encore plus radicalement avec ce qui reste d’obstacles à leur fuite hors du monde. L’occasion est trop belle, pour eux, de se défaire du reste de l’État providence, du filet de sécurité des plus pauvres, de ce qui demeure encore des réglementations contre la pollution, et, plus cyniquement, de se débarrasser de tous ces gens surnuméraires qui encombrent la planète[1].

    N’oublions pas, en effet, que l’on doit faire l’hypothèse que ces globalisateurs sont conscients de la mutation écologique et que tous leurs efforts, depuis cinquante ans, consistent en même temps à nier l’importance du changement climatique, mais aussi à échapper à ses conséquences en constituant des bastions fortifiés de privilèges qui doivent rester inaccessibles à tous ceux qu’il va bien falloir laisser en plan. Le grand rêve moderniste du partage universel des « fruits du progrès », ils ne sont pas assez naïfs pour y croire, mais, ce qui est nouveau, ils sont assez francs pour ne même pas en donner l’illusion. Ce sont eux qui s’expriment chaque jour sur Fox News et qui gouvernent tous les États climato-sceptiques de la planète de Moscou à Brasilia et de New Delhi à Washington en passant par Londres.

    Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause.

    Ce qui rend la situation actuelle tellement dangereuse, ce n’est pas seulement les morts qui s’accumulent chaque jour davantage, c’est la suspension générale d’un système économique qui donne donc à ceux qui veulent aller beaucoup plus loin dans la fuite hors du monde planétaire, une occasion merveilleuse de « tout remettre en cause ». Il ne faut pas oublier que ce qui rend les globalisateurs tellement dangereux, c’est qu’ils savent forcément qu’ils ont perdu, que le déni de la mutation climatique ne peut pas durer indéfiniment, qu’il n’y a plus aucune chance de réconcilier leur « développement » avec les diverses enveloppes de la planète dans laquelle il faudra bien finir par insérer l’économie. C’est ce qui les rend prêts à tout tenter pour extraire une dernière fois les conditions qui vont leur permettre de durer un peu plus longtemps et de se mettre à l’abri eux et leurs enfants. « L’arrêt de monde », ce coup de frein, cette pause imprévue, leur donne une occasion de fuir plus vite et plus loin qu’ils ne l’auraient jamais imaginé.[2] Les révolutionnaires, pour le moment, ce sont eux.

    C’est là que nous devons agir. Si l’occasion s’ouvre à eux, elle s’ouvre à nous aussi. Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré. L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant.

    Par exemple, l’autre jour, on présentait à la télévision un fleuriste hollandais, les larmes aux yeux, obligé de jeter des tonnes de tulipes prête à l’envoi qu’il ne pouvait plus expédier par avion dans le monde entier faute de client. On ne peut que le plaindre, bien sûr ; il est juste qu’il soit indemnisé. Mais ensuite la caméra reculait montrant que ses tulipes, il les fait pousser hors sol sous lumière artificielle avant de les livrer aux avions cargo de Schiphol dans une pluie de kérosène ; de là, l’expression d’un doute : « Mais est-il bien utile de prolonger cette façon de produire et de vendre ce type de fleurs ? ».

    Nous devenons d’efficaces interrupteurs de globalisation.

    De fil en aiguille, si nous commençons, chacun pour notre compte, à poser de telles questions sur tous les aspects de notre système de production, nous devenons d’efficaces interrupteurs de globalisation – aussi efficaces, millions que nous sommes, que le fameux coronavirus dans sa façon bien à lui de globaliser la planète. Ce que le virus obtient par d’humbles crachotis de bouches en bouches – la suspension de l’économie mondiale –, nous commençons à l’imaginer par nos petits gestes insignifiants mis, eux aussi, bout à bout : à savoir la suspension du système de production. En nous posant ce genre de questions, chacun d’entre nous se met à imaginer des gestes barrières mais pas seulement contre le virus : contre chaque élément d’un mode de production dont nous ne souhaitons pas la reprise.

    C’est qu’il ne s’agit plus de reprendre ou d’infléchir un système de production, mais de sortir de la production comme principe unique de rapport au monde. Il ne s’agit pas de révolution, mais de dissolution, pixel après pixel. Comme le montre Pierre Charbonnier, après cent ans de socialisme limité à la seule redistribution des bienfaits de l’économie, il serait peut-être temps d’inventer un socialisme qui conteste la production elle-même. C’est que l’injustice ne se limite pas à la seule redistribution des fruits du progrès, mais à la façon même de faire fructifier la planète. Ce qui ne veut pas dire décroître ou vivre d’amour ou d’eau fraîche, mais apprendre à sélectionner chaque segment de ce fameux système prétendument irréversible, de mettre en cause chacune des connections soi-disant indispensable, et d’éprouver de proche en proche ce qui est désirable et ce qui a cessé de l’être.

    D’où l’importance capitale d’utiliser ce temps de confinement imposé pour décrire, d’abord chacun pour soi, puis en groupe, ce à quoi nous sommes attachés ; ce dont nous sommes prêts à nous libérer ; les chaînes que nous sommes prêts à reconstituer et celles que, par notre comportement, nous sommes décidés à interrompre.[3] Les globalisateurs, eux, semblent avoir une idée très précise de ce qu’ils veulent voir renaître après la reprise : la même chose en pire, industries pétrolières et bateaux de croisière géants en prime. C’est à nous de leur opposer un contre-inventaire. Si en un mois ou deux, des milliards d’humains sont capables, sur un coup de sifflet, d’apprendre la nouvelle « distance sociale », de s’éloigner pour être plus solidaires, de rester chez soi pour ne pas encombrer les hôpitaux, on imagine assez bien la puissance de transformation de ces nouveaux gestes barrières dressés contre la reprise à l’identique, ou pire, contre un nouveau coup de butoir de ceux qui veulent échapper pour de bon à l’attraction terrestre.

    Un outil pour aider au discernement

    Comme il est toujours bon de lier un argument à des exercices pratiques, proposons aux lecteurs d’essayer de répondre à ce petit inventaire. Il sera d’autant plus utile qu’il portera sur une expérience personnelle directement vécue. Il ne s’agit pas seulement d’exprimer une opinion qui vous viendrait à l’esprit, mais de décrire une situation et peut-être de la prolonger par une petite enquête. C’est seulement par la suite, si vous vous donnez les moyens de combiner les réponses pour composer le paysage créé par la superposition des descriptions, que vous déboucherez sur une expression politique incarnée et concrète — mais pas avant.

    Attention : ceci n’est pas un questionnaire, il ne s’agit pas d’un sondage. C’est une aide à l’auto-description*.

    Il s’agit de faire la liste des activités dont vous vous sentez privées par la crise actuelle et qui vous donne la sensation d’une atteinte à vos conditions essentielles de subsistance. Pour chaque activité, pouvez-vous indiquer si vous aimeriez que celles-ci reprennent à l’identique (comme avant), mieux, ou qu’elles ne reprennent pas du tout. Répondez aux questions suivantes :

    Question 1 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas ?

    Question 2 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît nuisible/ superflue/ dangereuse/ incohérente ; b) en quoi sa disparition/ mise en veilleuse/ substitution rendrait d’autres activités que vous favorisez plus facile/ plus cohérente ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 1.)

    Question 3 : Quelles mesures préconisez-vous pour que les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs qui ne pourront plus continuer dans les activités que vous supprimez se voient faciliter la transition vers d’autres activités ?

    Question 4 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles se développent/ reprennent ou celles qui devraient être inventées en remplacement ?

    Question 5 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît positive ; b) comment elle rend plus faciles/ harmonieuses/ cohérentes d’autres activités que vous favorisez ; et c) permettent de lutter contre celles que vous jugez défavorables ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 4.)

    Question 6 : Quelles mesures préconisez-vous pour aider les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs à acquérir les capacités/ moyens/ revenus/ instruments permettant la reprise/ le développement/ la création de cette activité ?

    (Trouvez ensuite un moyen pour comparer votre description avec celle d’autres participants. La compilation puis la superposition des réponses devraient dessiner peu à peu un paysage composé de lignes de conflits, d’alliances, de controverses et d’oppositions.)

     

     

    [1] Voir l’article sur les lobbyistes déchainés aux Etats-Unis par Matt Stoller, « The coronavirus relief bill could turn into a corporate coup if we aren’t careful », The Guardian, 24.03.20.

    [2] Danowski, Deborah, de Castro, Eduardo Viveiros, « L’arrêt de monde », in De l’univers clos au monde infini (textes réunis et présentés). Ed. Hache, Emilie. Paris, Editions Dehors, 2014. 221-339.

    [3] L’auto-description reprend la procédure des nouveaux cahiers de doléance suggérés dans Bruno Latour, Où atterrir? Comment s’orienter en politique. Paris, La Découverte, 2017 et développé depuis par le consortium Où atterrir http://www.bruno-latour.fr/fr/node/841.html

     

    *L’auto-description reprend la procédure des nouveaux cahiers de doléance suggérés dans Bruno Latour, Où atterrir? Comment s’orienter en politique. Paris: La Découverte, 2017 et développé depuis par un groupe d’artistes et de chercheurs.

     

    Bruno Latour

    Philosophe et sociologue, Professeur émérite au médialab de Sciences Po

     

  • Que se cache-t-il derrière la fermeture de l’usine Honeywell de Plaintel ? Un scandale d’Etat !

    Fin 2018 le groupe multinational américain Honeywell fermait son site de production industriel de Plaintel pour le délocaliser en Tunisie licenciant en même temps 38 salarié(es). Cette entreprise, créée il y a une cinquantaine d’années et qui compta jusqu’à 300 salarié(es) avant son rachat en 2010 par Honeywell, au groupe Spirian fabriquait des masques respiratoires jetables et des vêtements de protections sanitaires en quantité considérable. Sa production était de 200 millions de masques par an, soit près de 20 millions par mois, fabriqués sur des machines ultras-modernes pouvant produire chacune 4000 masques à l’heure.

    Non contente de faire appel aux aides de l’Etat pour financer les huit plans sociaux que la multinationale Honeywell à mis en œuvre pour se débarrasser de ses salariés, Honeywell a pris la décision irresponsable en novembre 2018 de détruire ses huit machines en les faisant concasser par la déchetterie située sur la zone industrielle des Châtelet à Ploufragan.

    Les sections syndicales Cgt et Cfdt de l’usine de Plaintel avaient à l’époque, lancé un cri d’alarme pour empêcher la fermeture du site et la destruction de leur outil de production. Elles avaient multiplié les actions et les démarches pour éviter le pire. Elles s’étaient même adressées au Président de la République Emmanuel Macron et au Ministre de l’Economie Bruno Le Maire. Mais ces derniers ce sont contentés d’accuser réception de leurs courriers mais se sont bien gardés d’intervenir. Ils pensaient sans doute en bon libéraux, qu’une intervention de l’Etat ne servirait à rien, puisque que dans un monde mondialisé et heureux, la main invisible du marché finirait par montrer son efficience pour préserver l’intérêt général.

    Aujourd’hui, le retour au réel est brutal et c’est avec stupeur que le pays tout entier découvre avec la catastrophe sanitaire du coronavirus qu’il ne possède pratiquement pas de stocks de masques, pourtant indispensables pour protéger les personnels soignants, l’entourage des malades et tous les salarié(es) obligé(es) de travailler pour éviter que le pays tout entier ne s’écroule. Pour l’union syndicale Solidaires des Côtes d’Armor, la fermeture de l’usine Honeywell de Plaintel et la destruction de ses outils de production, comme l’inaction des autorités publiques représentent un scandale qui doit être dénoncé. La chaine des responsabilités dans cette affaire doit aussi être mise en lumière. Les Dirigeants d’Honeywell et les autorités de l’Etat doivent aujourd’hui rendre des comptes au pays. D’ores et déjà Solidaires a demandé à plusieurs Parlementaires de la Région d’interpeller le Gouvernement sur ce scandale. Solidaires propose également que le site industriel de fabrication de masques de protection sanitaire de Plaintel soit récréé en urgence sous un statut d’Etablissement Public Industriel et Commercial (EPIC) ou sous la forme d’une Société Coopérative Ouvrière de Production (SCOOP). Le personnel compétent et disponible existe et ne demande que cela. De l’argent il y en a. La Banque Centrale Européenne vient de débloquer 750 milliards de liquidités. Que cet argent soit mis en priorité au service de l’urgence sanitaire et de l’intérêt général, plutôt que de laisser aux seules banques privées le privilège de le prêter ou pas.

    Saint Brieuc le 26 mars 2020.

    Le Bureau Départemental de

    Solidaires des Côtes d’Armor

     

    Union syndicale Solidaires des Côtes d’Armor - 1 rue Zénaïde Fleuriot 22000 St Brieuc : 02 96 33 50 89 – solidaires22@orange.fr - https://www.facebook.com/Solidaires22-1819449424988379/

  • Lettre ouverte au président de la région Sud

    À l’attention de M. Renaud MUSELIER
    Président de la Région SUD
    Hôtel de région
    27, Place Jules Guesde
    13 002 Marseille


    Monsieur MUSELIER,


    Nous vous avons adressé, en date du 18 mars, un courrier vous demandant officiellement la
    gratuité des transports, durant la période de confinement, afin que ceux qui ont nécessité à se
    déplacer puissent le faire dans les meilleures conditions, ainsi que l’arrêt de votre projet
    d’ouverture à la concurrence. À ce jour, vous n’avez daigné répondre à l’organisation syndicale
    majoritaire chez les cheminots.
    Devons-nous en conclure à un mépris de votre part ou bien à une indifférence ?
    Puisque les échanges avec vous, ou vos services semblent compliqués, même en dehors de
    cette période particulière, nous allons donner dans cette expression les raisons de notre
    demande.
    Lorsqu’un Président de la République prend la parole, avec solennité, demandant l’unité
    nationale contre un ennemi commun, déclarant la guerre à cette pandémie, il serait mal venu
    que durant cette même période des cheminots reçoivent un courrier, conformément à la loi,
    leur notifiant que bientôt il serait possible qu’ils ne fassent plus partie de la SA Voyageurs du
    Groupe Public Unifié SNCF. Nous ne pensons pas que cet acte, lié à votre projet d’ouverture à
    la concurrence, soit de bon augure envers celles et ceux qui assurent un service public de
    transport essentiel en s’exposant.
    Si nos réflexions étaient si saugrenues, vous n’auriez pas décrété d’accorder la gratuité aux
    soignants qui sont engagés contre la pandémie du Covid-19. Mais il aurait été plus pertinent de
    l’étendre à tous les usagers.
    Durant des années, sous prétexte de manque de clarté sur les comptes de la SNCF, vous avez
    privé le service public de près de 44 millions d’euros par an durant 3 ans. Vous avez estimé
    arbitrairement que 300 millions d’euros pour assurer un service public de transport étaient
    trop importants.
    De plus, vous avez joué sur la corde sensible, en invoquant des problèmes réels de qualité de
    production. Malgré le contentieux financier, les cheminots, consciencieux, sont parvenus à
    améliorer la qualité du service public. D’ailleurs, ce sont toujours eux qui font les frais de telles
    politiques.
    Il est bien dommage que vous n’ayez eu comme seule attitude de nous dénigrer.
    Ceci étant dit nous ne sommes pas rancuniers, mais particulièrement agacés.
    Agacés de découvrir qu’après nous avoir privés des ressources nécessaires pour assurer le
    service public, vous débloquez, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, des sommes
    considérables et une régénération totale du parc roulant, en laissant la convention actuelle
    courir, pour offrir des lots clés en main. Si avec cela ça ne marchait pas mieux, il faudrait nous
    consulter, car les cheminots ont su faire plus avec des moyens bien plus réduits.

    La convention actuelle prévoit une rémunération de 300M€ pour tout le TER PACA.
    Nous sommes consternés de lire que vous prévoyez pour les deux seuls lots Azur et liaisons
    des métropoles Marseille-Nice 237 M€ de rémunération par ans sur 10 ans. Soit la quasi totalité
    de ce qui est donné aujourd’hui pour l’ensemble, pour seulement 33% du trafic demain.
    Après ouverture à la concurrence, la facture du TER coûterait au conseil régional et donc
    aux contribuables de PACA plus de 400 millions d’€.
    Pire vous prévoyez, pour le peu de développement qu’il y aurait, que ce soit réalisé avec une
    polyvalence accrue, une déshumanisation des gares et des trains et des suppressions
    conséquentes d’emplois chez les cheminots. Et nous n’insisterons pas sur l’augmentation des
    tarifs pour les usagers puisque vous l’imposez déjà, par l'augmentation de la "carte Zou".
    Matériels neufs, 95 millions pour faire de nouveaux ateliers, une rémunération en
    augmentation… si vous nous aviez donné tous ces moyens, au lieu de les garder pour tenter de
    les donner à d’éventuelles entreprises privées, nous en serions aux 700 trains jours pour
    desservir tout le territoire PACA au lieu des 542 que vous nous avez imposés, depuis votre
    arrivée à la tête du Conseil Régional.
    Ce sera plus cher et les citoyens de notre Région n’auront pas plus de trains. Nous l’affirmons
    avec conviction et nous continuerons de le faire jusqu’à ce que chaque citoyen de notre Région
    sache ce que vous allez faire de l’argent public et du mandat qu’ils vous ont confié lors des
    élections.
    Depuis les Assises régionales des Transports, vous avez construit une stratégie pour valider
    votre projet d’ouverture à la concurrence. Personne n’est dupe et rapidement chacun qui a à
    cœur de voir le service public jouer son rôle dans notre région, vous demandera des comptes
    et nous serons avec eux.
    Aussi, s’il vous reste une once d’humanisme et de respect pour toutes les composantes de la
    société civile, nous vous demandons de mettre fin à votre projet qui commence déjà à coûter
    inutilement de l’argent ; rappelons les 200 000€ que vous offrirez également à chaque
    candidat…
    Les volontaires à la reprise des lots devaient se manifester avant le 31 mars, vous avez décalé
    de 15 jours, effet Covid-19 oblige. Nous vous demandons solennellement, une fois de plus, de
    stopper purement et simplement tout projet d’ouverture à la concurrence et de nous attribuer
    les moyens que vous avez économisés sur notre dos pour ce projet, afin que nous puissions
    enfin développer le transport ferroviaire sur notre région.
    Vous l’aurez compris nous nous positionnons clairement contre l’ouverture à la concurrence
    qui va faire perdre des moyens financiers et techniques, alors que l’entreprise SNCF intégrée a
    démontré sa capacité, dans l’histoire de notre pays, d’un développement ferroviaire massifié,
    avec une empreinte carbone la plus basse parmi tous les modes de transport.
    Dans l’attente de vous lire, de vous entendre, ou nous l’espérons de tous nos vœux, de nous voir
    après ce terrible épisode humain, nous vous adressons nos sincères salutations de
    syndicalistes.

    Le Secrétaire Général du Secteur,
    François TÉJÉDOR

  • TRIBUNE. "Plus jamais ça !" : 18 responsables d'organisations syndicales, associatives et environnementales appellent à préparer "le jour d’après"

    Face à "la crise du coronavirus" des organisations syndicales, associatives et environnementales réclament "de profonds changements de politiques", pour "se donner l'opportunité historique d'une remise à plat du système, en France et dans le monde".

    Dans le quartier d'affaires de la Défense, le 24 mars 2020 (photo d'illustration).
    Dans le quartier d'affaires de la Défense, le 24 mars 2020 (photo d'illustration). (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

    "Plus jamais ça ! Préparons le 'jour d'après'", 18 responsables d'organisations syndicales, associatives et environnementales parmi lesquels Philippe Martinez (CGT), Aurélie Trouvé (Attac), Jean-François Julliard (Greenpeace) et Cécile Duflot (Oxfam), signent une tribune commune publiée, vendredi 27 mars, sur franceinfo.

    Ces organisations lancent un appel "à toutes les forces progressistes et humanistes [...] pour reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral".


    En mettant le pilotage de nos sociétés dans les mains des forces économiques, le néolibéralisme a réduit à peau de chagrin la capacité de nos États à répondre à des crises comme celle du Covid. La crise du coronavirus qui touche toute la planète révèle les profondes carences des politiques néolibérales. Elle est une étincelle sur un baril de poudre qui était prêt à exploser. Emmanuel Macron, dans ses dernières allocutions, appelle à des "décisions de rupture" et à placer "des services (…) en dehors des lois du marché". Nos organisations, conscientes de l’urgence sociale et écologique et donnant l'alerte depuis des années, n’attendent pas des discours mais de profonds changements de politiques, pour répondre aux besoins immédiats et se donner l'opportunité historique d'une remise à plat du système, en France et dans le monde.

    Dès à présent, toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé des populations celle des personnels de la santé et des soignant·e·s parmi lesquels une grande majorité de femmes, doivent être mises en œuvre, et ceci doit largement prévaloir sur les considérations économiques. Il s'agit de pallier en urgence à la baisse continue, depuis de trop nombreuses années, des moyens alloués à tous les établissements de santé, dont les hôpitaux publics et les Ehpad. De disposer du matériel, des lits et des personnels qui manquent : réouverture de lits, revalorisation des salaires et embauche massive, mise à disposition de tenues de protection efficaces et de tests, achat du matériel nécessaire, réquisition des établissements médicaux privés et des entreprises qui peuvent produire les biens essentiels à la santé, annulation des dettes des hôpitaux pour restaurer leurs marges de manœuvre budgétaires... Pour freiner la pandémie, le monde du travail doit être mobilisé uniquement pour la production de biens et de services répondant aux besoins essentiels de la population, les autres doivent être sans délai stoppées. La protection de la santé et de la sécurité des personnels doivent être assurées et le droit de retrait des salarié·e·s respecté.

    Des mesures au nom de la justice sociale nécessaires

    La réponse financière de l’État doit être d'abord orientée vers tou·te·s les salarié·e·s qui en ont besoin, quel que soit le secteur d'activité, et discutée avec les syndicats et représentant·e·s du personnel, au lieu de gonfler les salaires des dirigeant·e·s ou de servir des intérêts particuliers. Pour éviter une très grave crise sociale qui toucherait de plein fouet chômeurs·euses et travailleurs·euses, il faut interdire tous les licenciements dans la période. Les politiques néolibérales ont affaibli considérablement les droits sociaux et le gouvernement ne doit pas profiter de cette crise pour aller encore plus loin, ainsi que le fait craindre le texte de loi d’urgence sanitaire.

    Le néolibéralisme, en France et dans le monde, a approfondi les inégalités sociales et la crise du coronavirus s’abattra notamment sur les plus précaires.Les signataires de la tribune

    Selon que l’on est plus ou moins pauvre, déjà malade ou non, plus ou moins âgé, les conditions de confinement, les risques de contagion, la possibilité d’être bien soigné ne sont pas les mêmes. Des mesures supplémentaires au nom de la justice sociale sont donc nécessaires : réquisition des logements vacants pour les sans-abris et les très mal logés, y compris les demandeurs·euses d’asile en attente de réponse, rétablissement intégral des aides au logement, moratoire sur les factures impayées d'énergie, d'eau, de téléphone et d'internet pour les plus démunis. Des moyens d’urgence doivent être débloqués pour protéger les femmes et enfants victimes de violences familiales.

    Les moyens dégagés par le gouvernement pour aider les entreprises doivent être dirigés en priorité vers les entreprises réellement en difficulté et notamment les indépendants, autoentrepreneurs, TPE et PME, dont les trésoreries sont les plus faibles. Et pour éviter que les salarié·e·s soient la variable d’ajustement, le versement des dividendes et le rachat d’actions dans les entreprises, qui ont atteint des niveaux record récemment, doivent être immédiatement suspendus et encadrés à moyen terme.

    Trop peu de leçons ont été tirées de la crise économique de 2008.Les signataires de la tribune

    Des mesures fortes peuvent permettre, avant qu’il ne soit trop tard, de désarmer les marchés financiers : contrôle des capitaux et interdiction des opérations les plus spéculatives, taxe sur les transactions financières… De même sont nécessaires un contrôle social des banques, un encadrement beaucoup plus strict de leurs pratiques ou encore une séparation de leurs activités de dépôt et d’affaires.

    Des aides de la BCE conditionnées à la reconversion sociale et écologique

    La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé une nouvelle injection de 750 milliards d’euros sur les marchés financiers. Ce qui risque d’être à nouveau inefficace. La BCE et les banques publiques doivent prêter directement et dès à présent aux États et collectivités locales pour financer leurs déficits, en appliquant les taux d’intérêt actuels proches de zéro, ce qui limitera la spéculation sur les dettes publiques. Celles-ci vont fortement augmenter à la suite de la "crise du coronavirus". Elles ne doivent pas être à l’origine de spéculations sur les marchés financiers et de futures politiques d’austérité budgétaire, comme ce fut le cas après 2008.

    Cette crise ne peut une nouvelle fois être payée par les plus vulnérables.Les signataires de la tribune

    Une réelle remise à plat des règles fiscales internationales afin de lutter efficacement contre l'évasion fiscale est nécessaire et les plus aisés devront être mis davantage à contribution, via une fiscalité du patrimoine et des revenus, ambitieuse et progressive.

    Par ces interventions massives dans l’économie, l’occasion nous est donnée de réorienter très profondément les systèmes productifs, agricoles, industriels et de services, pour les rendre plus justes socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et axés sur le rétablissement des grands équilibres écologiques. Les aides de la Banque centrale et celles aux entreprises doivent être conditionnées à leur reconversion sociale et écologique : maintien de l'emploi, réduction des écarts de salaire, mise en place d'un plan contraignant de respect des accords de Paris... Car l'enjeu n'est pas la relance d'une économie profondément insoutenable. Il s’agit de soutenir les investissements et la création massive d’emplois dans la transition écologique et énergétique, de désinvestir des activités les plus polluantes et climaticides, d’opérer un vaste partage des richesses et de mener des politiques bien plus ambitieuses de formation et de reconversion professionnelles pour éviter que les travailleurs·euses et les populations précaires n’en fassent les frais. De même, des soutiens financiers massifs devront être réorientés vers les services publics, dont la crise du coronavirus révèle de façon cruelle leur état désastreux : santé publique, éducation et recherche publique, services aux personnes dépendantes… 

    Relocalisation de la production

    La "crise du coronavirus" révèle notre vulnérabilité face à des chaînes de production mondialisée et un commerce international en flux tendu, qui nous empêchent de disposer en cas de choc de biens de première nécessité : masques, médicaments indispensables, etc. Des crises comme celle-ci se reproduiront. La relocalisation des activités, dans l’industrie, dans l’agriculture et les services, doit permettre d’instaurer une meilleure autonomie face aux marchés internationaux, de reprendre le contrôle sur les modes de production et d'enclencher une transition écologique et sociale des activités. 

    La relocalisation n’est pas synonyme de repli sur soi et d’un nationalisme égoïste. Nous avons besoin d’une régulation internationale refondée sur la coopération et la réponse à la crise écologique, dans le cadre d'instances multilatérales et démocratiques, en rupture avec la mondialisation néolibérale et les tentatives hégémoniques des États les plus puissants. De ce point de vue, la "crise du coronavirus" dévoile à quel point la solidarité internationale et la coopération sont en panne : les pays européens ont été incapables de conduire une stratégie commune face à la pandémie. Au sein de l’Union européenne doit être mis en place à cet effet un budget européen bien plus conséquent que celui annoncé, pour aider les régions les plus touchées sur son territoire comme ailleurs dans le monde, dans les pays dont les systèmes de santé sont les plus vulnérables, notamment en Afrique.

    Tout en respectant le plus strictement possible les mesures de confinement, les mobilisations citoyennes doivent dès à présent déployer des solidarités locales avec les plus touché·e·s, empêcher la tentation de ce gouvernement d’imposer des mesures de régression sociale et pousser les pouvoirs publics à une réponse démocratique, sociale et écologique à la crise.

    Plus jamais ça ! Lorsque la fin de la pandémie le permettra, nous nous donnons rendez-vous pour réinvestir les lieux publics et construire notre "jour d’après". Nous en appelons à toutes les forces progressistes et humanistes, et plus largement à toute la société, pour reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral.

    Retrouvez ci-dessous la liste des signataires :

    Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France
    Aurélie Trouvé, porte-parole d'Attac France
    Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT
    Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne
    Benoit Teste, secrétaire général de la FSU
    Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France
    Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France
    Eric Beynel, porte-parole de l'Union syndicale Solidaires
    Clémence Dubois, responsable France de 350.org
    Pauline Boyer, porte-parole d'Action Non-Violente COP21
    Léa Vavasseur, porte-parole d'Alternatiba
    Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire
    Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au Logement
    Lisa Badet, vice-présidente de la FIDL, Le syndicat lycéen
    Jeanette Habel, co-présidente de la Fondation Copernic
    Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature
    Mélanie Luce, présidente de l'UNEF
    Héloïse Moreau, présidente de l'UNL

  • Tous les soirs, à 20 h, … … nous applaudissons … mais …

    Ma maman est décédée à l'hôpital de Valence en juillet 2019. Après un passage difficile (oserais-je dire inhumain ?) dans un service des Urgences comme à l’accoutumé débordé (et encore, elle a eu la chance cette fois de passer très vite d’un brancard à un lit) elle y a été très bien accueillie et soignée, mais, à 93 ans, bien fatiguée, elle s’est éteinte tout doucement.
    A ce moment là, on pouvait encore entrer dans les hôpitaux et rendre visite à ses proches malades. Et on ne pouvait manquer de voir des grandes banderoles accrochées aux grilles de l'entrée et au fronton de l’établissement : « Hôpital en grève ! » et « Urgences en grève. »
    Trois mois qu’elles étaient posées là par les personnels soignants et leurs syndicats (appel national de la CGT, de FO, de Sud et la CFE-CGC). Huit mois après, en ce moment de crise épidémiologique, el-les y sont toujours. Car, mis à part quelques beaux discours, quelques aumônes financières (des rustines sur un pneu usé proche de l’éclatement) de l’ancienne Ministre de la Santé (celle qui savait pour le Covid 19, mais qui n’a rien dit et qui s’est vite carapatée) rien depuis n’a évolué dans leurs revendications. Et ce n’est pas nouveau, cela fait 20 ans que les gouvernements successifs, de la Droite de Sarko, à la ni Droite-ni Gauche de Macron, en passant par la pseudo Gauche d’Hollande agissent ainsi. Tous continuant à cas-ser ou à privatiser le service public de santé et ses personnels.
    Ces derniers se battent. Soutenus par l’opinion publique. A la question « Quel métier admirez-vous et respectez-vous le plus ? » les français plébiscitent à chaque fois les soignants, infirmiers et urgen-tistes en tête. Et compatissent.
    Mais la compassion ça leur fait une belle jambe à ces soignants. Ils fatiguent. Sous la pression, l’hôpital fissure de partout. On colmate comme on peut grâce à l’abnégation et au dévouement des per-sonnels. A leur immense professionnalisme.
    Cela déborde de partout. Un exemple parmi d’autres, un w.e. du printemps 2019, à l'hôpital Saint-Antoine à Paris. « 15 paramédicaux sur 19, épuisés par leurs conditions de travail, n'ont pas pu prendre leur poste » et « trois paramédicaux de l'équipe de jour ont dû rester pour continuer de prendre en char-ge les patients », travaillant ainsi « 18 heures d'affilée » en attendant « la relève de l'équipe du lendemain (Le Parisien) ».
    Ça va craquer. Et ça craque.
    Tout commence le 13 janvier dernier à l'hôpital Saint-Antoine justement, quand un patient frappe deux infirmiers et une aide-soignante, entraînant une incapacité temporaire de travail (ITT) de huit jours pour chacun d'entre eux. Le 18 mars, le service des urgences de cet hôpital entame une grève illimitée, soutenue par la CGT, FO et SUD. Dans la semaine qui suit 21 services de la région parisienne les rejoi-gnent.
    Le mouvement s’élargit très vite aux autres services d’urgence du pays. A partir du 18 mars, plus de 150 lieux sont impactés. Les grévistes s'indignent du manque de moyens alors que le nombre de patients pris en charge aux urgences est passé de 10 millions en 1996 à 21 millions en 2016. Les chirurgiens, les chefs de service et même certains grands patrons de ces hôpitaux soutiennent voire rejoignent le mouve-ment. Du jamais vu.
    Les infirmières valentinoises font le buzz avec l’enregistrement de « Ya d’la colère dans le cathé-ter » qui permet de populariser le mouvement qui est très bien perçu dans l’opinion publique. Les bande-roles s’installent. Les premières manifestations s’organisent.
    « On demande plus d'effectifs, 10 000 équivalents temps plein exactement, zéro hospitalisation sur des brancards, aucune fermeture de ligne de Samu ainsi qu'une prime de 300 euros mensuels nets en re-connaissance de la pénibilité de notre travail », précise Candice Lafarge du collectif Inter-Urgences.
    Rien de sérieux ne vient les rassurer. Au contraire, en décembre, ils se retrouvent parmi les pre-miers impactés par la Réforme des Retraites. Qui en rajoute sur le ras le bol. L’année 2019 passe, les ban-deroles sont toujours là. Le mouvement de grève se dilue dans les infos des médias. Disparait. D’autant plus que les personnels sont réquisitionnés et que contrairement à d’autres professions, ils ne nous gênent pas, nous les usagers, nous qui les applaudissons aujourd’hui.
    2020 commence mal. Le 17 janvier « le gouvernement oppose une fin de non recevoir au Collec-tif Inter Hôpitaux malgré plusieurs mois de grève dans les services d’urgences, un mouvement de mobili-sation national et plus de 1200 démissions de chefs de service. (CGT UFMICT Santé) »
    Le mouvement s’apprête à fêter (si l’on dose dire) un an de grève continue quand la France se re-trouve en quarantaine. Et les personnels soignants au premier rang du combat. Et avec des situations qui de plus que précaires sont appelées à devenir catastrophiques.
    Le 15 mars, le Président Macron s’adresse aux français. Du grand art de la politique à la brosse à reluire : « Je compte évidemment aussi sur tous nos soignants. Je sais tout ce qu'ils ont déjà fait, je sais ce qu'il leur reste à faire. Le Gouvernement et moi-même serons là, nous prendrons toutes nos responsabilités pour eux. Je pense à tous nos soignants à l'hôpital, qui auront les cas les plus graves à traiter mais aussi beaucoup d'urgences. Je pense aux médecins, aux infirmiers, aux infirmières, à tous les soignants qui sont aussi hors de l'hôpital qui se sont formidablement mobilisés et que nous allons de plus en plus solliciter dans les semaines à venir.
    (…) Le ministre de la Santé aura l'occasion aussi de préciser, dans les prochaines heures, les règles pour que nous vous aidions à bien vous protéger contre le virus. C'est le respect que nous avons envers vous, et c'est évidemment ce que la Nation vous doit. … »
    Et de conclure ainsi son discours : « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d'autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle …. »
    Les infirmiers, les aides-soignants, les médecins des services hospitaliers et d’ailleurs, les comités de défense du service public hospitalier, les syndicats, les élus des zones rurales où on ferme maternités, urgences et soins ambulatoires, toutes celles et tous ceux qui ont soutenu les grévistes, pétitionné, mani-festé, tous n’en croient pas leurs oreilles. Vingt ans qu’ils le proclament. Vingt ans qu’on leur rit au nez, vingt ans que tout s’effondre.
    La preuve, les masques chirurgicaux, la plus simple et plus élémentaire protection du personnel soignant, même ça on n’est pas foutu de leur en fournir. Pourtant on les avait. On avait bien assuré la quantité pendant l’épidémie du H1n1. Mais, un jour des politiques (irresponsables, incompétents ou les deux ?), des administrateurs (fossoyeurs financiers), appuyés par les brillantes analyses des "sachant" et autres "experts" divers, ont décidé qu’on n’en avait pas besoin d’autant. Et ils ont coupé les cordons de la bourse. Rendront-ils des comptes ces gens là ?
    La situation devient intenable. La France 29ème nation au PIB par habitant (à égalité avec le Royaume Uni, devant le Japon), la France doit, comme un indigent pays du Tiers Monde, faire appel à l’aide internationale.
    Et c’est dans cette situation, à l’appel des "réseaux sociaux", tous les soirs à 20 heures, beaucoup d'entre nous se mettent sur leur balcon, à leurs fenêtres et applaudissent chaleureusement pour remercier ceux d'entre nous qui, par leur métier, sont au premier rang sur le front du combat contre le coronavirus. Nombreux, je le pense, sont de bonne foi. Nombreux aussi se donnent bonne conscience. La solidarité s’affiche pendant deux ou trois minutes, tous les soirs.
    Cela se passe dans les villes, dans les villages, dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans l’hé-micycle du Sénat, …
    Combien sommes-nous à cet instant. Deux millions ? Cinq millions ? Plus ? Allez disons dix. Dix millions !
    Dix millions qui manifestent leur soutien … Enfin ! Parce que je n’ai pas souvenir que nous ayons été dix millions de personnes dans les rues lors des manifestations organisées depuis un an par les personnels des hôpitaux, leurs collectifs, leurs syndicats.
    Mais la situation exceptionnelle que nous vivons nous a ouvert les yeux. Et comme notre prési-
    dent l’a dit nous venons de prendre conscience que « Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »
    L’engagement auquel le Président nous appelle est fort. La Nation l’a compris. Par leurs applau-dissements les français plébiscitent cet avenir.
    Alors, bien sûr, on sait tous que le Président et son gouvernement dans cette période de crise, d’angoisse, de peur, doivent rassurer le français lambda. Pas facile certes de gérer en ce moment, on le reconnait. Mais ils ont tous choisi d’y aller. Pour le meilleur (de leur carrière et de leur égo) et pour le pire.
    Alors ils communiquent. Se déculpabilisent. « Ce n’est pas nous, ce sont ceux qui avant … » En occultant le fait qu’ils y étaient déjà avant. Ils font de belles phrases. Envahissent les écrans. Essaient de rassurer. Justifient. Brassent. Crawlent. Dénoncent. Ils disent qu’ils ont compris. Qu’ils vont changer tout ça.
    Et ils promettent. Ils promettent. Le beurre, l’argent du beurre et même la laiterie et les vaches avec.
    Et pendant ce temps (une semaine de confinement déjà) les masques n’arrivent toujours pas.
    Nos politiques, nos énarques, nos décideurs, appuyés par les "sachant" et autres "experts" divers nous le disent tous : « Il y aura un avant et un après mars 2020. » Voila ce que retiendra l’Histoire du gouvernement Macron (2017-…).
    Et après ?
    Nos politiques seront-ils enfin à la hauteur ? Une fois les hommages aux disparus (malades, combattants) terminés, une fois la guerre gagnée, … un conseil de la Libération se mettra-t-il en place ? Un nouvel Ambroise Croizat apparaitra-t-il ? Un plan Santé digne de notre Nation sera-t-il enfin instal-lé ? La solidarité, celle que nous applaudissons tous les soirs, sera-t-elle enfin mise en place ?
    Et on verra enfin disparaître les banderoles
    Ou, encore une fois, une fois … politiques, énarques, décideurs, "sachant" et autres "experts" di-vers, toujours bonimenteurs, hypocrites, égoïstes, … « Paroles, paroles, paroles … » « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. (Chirac ? Pasqua ? Henri Queuille ?) »
    Très vite on verra si c’est ce deuxième chemin qui se dessine. Si c’est le cas, …
    N’en doutons pas, les soignants se remobiliseront encore plus fort. Ils repartiront au combat, non pas contre une pandémie mais contre les assassins et les fossoyeurs du Service Public de Santé en Fran-ce. Ils appelleront à la grève, au rassemblement, à la manifestation …
    Et n’en doutons pas, nous tous, les dix millions qui les applaudissons tous les soirs à 20 h, tous nous les rejoindrons dans leur combat.
    Dix millions dans la rue. Chiche ?
    Ou alors … on a les élus qu’on mérite … nous aussi, dix millions, … bonimenteurs, hypocrites, égoïstes, … arrêtons d’applaudir.
    Le 23 mars 2020.
    Christian