A l'occasion de la mobilisation pour défendre la Sécurité sociale lancée par deux organisations syndicales de salariés le 5 mars 2013, Jean-Paul Benoit, président de la Fédération des mutuelles de France, a signé une tribune dans le Huffington Post pour mettre en garde contre la généralisation de la complémentaire santé à travers les contrats collectifs d'entreprises. Il appelle à une "mise à plat de la totalité des enjeux de la généralisation de la complémentaire" santé.
L'accord sur la sécurisation des parcours professionnels, signé le 11 janvier dernier par une partie des organisations syndicales prévoit l'extension des contrats groupe de complémentaire santé à tous les salariés du privé. Or ces contrats, en solvabilisant les dépassements des tarifs médicaux, en rendant imperceptible ce qui relève de la Sécurité sociale et ce qui relève de la couverture complémentaire, en amoindrissant les recettes de la Sécurité sociale, affaiblissent notre protection sociale assise sur un haut niveau des régimes obligatoires.
Les contrats groupe portent atteinte à la Sécurité sociale de plusieurs façons. Ils bénéficient d'exonérations sociales et fiscales considérables. Dans son rapport de septembre 2011, la Cour des comptes a chiffré la totalité de ces aides publiques à 4,3 milliards d'euros. L'extension en l'état représente un coût supplémentaire évalué à 2,5 milliards d'euros. Une grande partie de ce montant vient directement en diminution des recettes de la Sécu.
Les contrats groupe participent également à réduire les taux de prise en charge de l'assurance maladie obligatoire. Le développement des dépassements d'honoraires médicaux réduit les taux de remboursement effectif. Or, si ces dépassements ont pu se développer autant c'est en partie dû à la surenchère dans leur prise en charge par les complémentaires. Cette surenchère est essentiellement le fait des contrats groupe. Plus de 80% de ces contrats prennent en charge les dépassements d'honoraires contre moins de 30% des couvertures individuelles.
C'est à juste titre que la Cour des comptes pointait, dans le rapport déjà cité, que : "les diverses aides accroissent les inégalités d'accès aux soins..." N'y a-t-il pas devoir de s'alarmer quand les fonds publics, loin de réduire les inégalités, participent de leur accroissement ?
Lier l'accès à une complémentaire santé au contrat de travail, c'est aller vers moins d'universalité. Que vont devenir les chômeurs, les retraités ou encore les jeunes en formation ? L'aboutissement de cette logique est un système à deux vitesses qui laisse sur le coté des millions de personnes, qui ajoute de l'injustice à l'inégalité. Nous avons, grandeur nature, le résultat de cette logique menée à son terme avec les Etats-Unis et leurs dizaines de millions de personnes sans couverture sociale.
Permettre à tous d'accéder à des soins de qualité grâce à une couverture complémentaire est un objectif louable. Mais la généralisation des contrats groupe aux salariés du privé n'y répond que très mal et à un coût prohibitif. On estime que cette extension permettrait de couvrir 400 000 personnes qui ne le sont pas encore. Mais avec les 2,5 milliards d'euros mobilisés ce sont les 4 millions de personnes qui n'ont pas de complémentaire qui pourraient se voir couvertes en totalité. A l'heure où la meilleure utilisation des fonds publics est vitale, comment accepter un tel gaspillage ?
Il y a des salariés pauvres dans le privé, c'est un fait, mais il y en a aussi dans la fonction publique. Il y a des chômeurs pauvres, malheureusement l'actualité nous le rappelle violemment. Il y a des jeunes pauvres et de plus en plus des retraités pauvres, la part des personnes de plus de 65 ans dans les dossiers de surendettement a doublé ces 10 dernières années. La santé concerne tout le monde, il n'y a pas de raison de mobiliser la totalité des aides sur une seule catégorie quand elles suffiraient à répondre aux besoins de tous.
Pour devenir applicable, l'accord du 11 janvier doit être inscrit dans la loi par le Parlement. Les élus de la nation sont les garants de l'intérêt général. Ils ne peuvent accepter d'être réduits au rôle de greffiers. Les syndicats sont légitimes pour négocier des accords sociaux au bénéfice des salariés, encore que celui-ci soit largement minoritaire, mais ils ne peuvent se substituer à la représentation de la nation quand il s'agit de disposer des fonds publics.
Les Mutuelles de France demandent que le débat à venir permette une mise à plat de la totalité des enjeux de la généralisation de la complémentaire. Qu'au lieu d'être traitée à la sauvette dans le cadre de la transcription d'un accord interprofessionnel plus large, cette question soit réglée lors de l'examen de la réforme du financement de la protection sociale promise par le gouvernement pour 2013. Avant toute extension des contrats groupe doivent être mises en place une régulation efficace, une limitation de prise en charge des dépassements d'honoraires, des cotisations proportionnelles aux revenus, des garanties sur les solidarités intergénérationnelles ...
Les aides publiques doivent bénéficier à l'ensemble de la population selon des critères de solidarité renforcés.