Avec un peu de retard, car publiée vendredi dernier dans Libé, je vous propose la lecture de ma tribune sur ladite “affaire DSK” et que vous pouvez retrouver par là également.
Sidération : depuis la révélation de «l’affaire DSK», la France est en état de choc. Ce que l’on n’arrive pas à croire, c’est qu’un homme de pouvoir aussi haut placé ait pu violer une femme de chambre. Personne, à part les deux protagonistes, ne sait ce qui s’est réellement passé dans la suite du Sofitel new-yorkais. Mais la réception de l’événement raconte quelque chose de profond sur nos représentations. La parole des femmes victimes de violences sexuelles est suspecte. On sous-estime l’ampleur du phénomène, voire sa banalité : un viol a lieu tous les quarts d’heure en France. Une grande confusion domine entre la drague, le libertinage, «l’amour des femmes», d’une part, et le harcèlement, les agressions sexuelles, le viol, d’autre part. «L’homme qui aime les femmes sans modération», titrait un quotidien, au moment où DSK est accusé d’avoir imposé une fellation à une employée d’hôtel et de l’avoir séquestrée. Les stéréotypes sur le profil des violeurs ont également la vie dure : un «homme aussi intelligent» n’aurait pas pu commettre un tel crime, réservé dans l’imaginaire collectif aux milieux populaires. Or les auteurs de violences sexuelles se recrutent dans toutes les catégories sociales. Quel que soit le verdict juridique, c’est l’occasion de briser le silence qui entoure le viol, de dénoncer l’omerta sur les comportements de nombreux hommes de pouvoir qui utilisent leur position pour obtenir des relations sexuelles en écrasant le désir de l’autre. En politique comme dans les entreprises, certains dirigeants considèrent les femmes comme des proies à saisir pour compléter un tableau de chasse. La tolérance sociale à l’égard de ce type de violences est forte, comme l’a illustré la phrase de Jack Lang sur son «ami» DSK : «Il n’y a pas mort d’homme.» Après tout, ce qui est en cause n’est que le viol d’une femme de chambre…
Le viol est profondément destructeur pour les victimes et pèse comme une menace sur la liberté de toutes les femmes. Au-delà du politiquement correct qu’est devenue la lutte contre la domination masculine, il est temps de se donner les moyens de combattre son expression ultime. La parole doit être libérée. Nous, femmes violées, sommes invisibles d’abord parce que nous sommes enfermées dans le silence, prisonnières de nos peurs, celle de ne pas être crue, celle du regard des autres. On estime que seule une femme sur dix porte plainte. Aller raconter dans un bureau froid, devant un inconnu, les détails crus d’un viol est pour le moins difficile. Le viol est le seul crime dans lequel la victime a généralement honte et nourrit un sentiment de culpabilité. Le cas de Tristane Banon ne dit pas autre chose. En 2007, quand elle raconte dans une émission de Thierry Ardisson qu’elle a été victime d’une tentative de viol de la part d’un homme politique, le ricanement des hommes présents est glaçant. Elle dit que l’homme l’a mise à terre et lui a arraché son soutien-gorge. A ce moment-là, Ardisson réplique en rigolant : «J’adore.» Le nom du politique est bipé mais cette révélation ne suscite aucune enquête, aucune reprise journalistique. Silence radio. Encouragée par sa mère et son éditeur, Tristane Banon décide de ne pas porter plainte. La peur de ne pas être crue, de voir sa carrière brisée, d’être à vie vue comme celle qui a dénoncé ces faits.
J’ai mis plus de dix ans à dire publiquement cette vérité : j’ai été victime de viol. Avant, je mentais sur les raisons de mon engagement féministe. Et tout le monde, ou presque, autour de moi m’incitait à me taire. Il m’a fallu du temps pour avoir la force d’assumer. Mais je ressassais : par mon silence, je suis complice des violeurs. Ce n’est pas ma vie privée, c’est la violation de mon intimité, de mon intégrité. C’est un crime. Si aucune victime ne montre son visage, quelle peut en être la réalité ? Je voulais témoigner aussi qu’il est possible de vivre et non survivre après un viol. L’homme qui m’a violée a avoué avoir commis entre vingt et trente viols. Aux Assises, nous étions trois plaignantes. Je pense à celles qui n’étaient pas là. Pour elles, pour toutes celles qui ont peur, sont seules dans la douleur et dont le violeur court toujours, je veux dire à toute la société que les oreilles doivent se tendre et qu’il est temps de nous entendre et de nous croire.
Clémentine Autain