Publié par : http://www.lagazettedescommunes.com
Le : 14/02/2013
Interview Eric Favey, secrétaire général adjoint de La Ligue de
l’enseignement et Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUIPP
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La grève des enseignants du primaire a réuni, mardi 12 février 2013, 85
% des troupes selon les syndicats enseignants et 36,17 % selon le
ministère. Dans le même temps, La Ligue de l’enseignement, grand
mouvement d’éducation populaire déjà impliqué dans les activités
périscolaires de certaines collectivités, affiche son soutien à la
réforme. Ces deux acteurs sont des chevilles ouvrières des projets
éducatifs territoriaux (PEdT) de la réforme des rythmes scolaires :
comment voient-ils la réforme, au sortir de la grève enseignante ?
La Ligue de l’enseignement est le second mouvement d’éducation populaire
à approuver la réforme des rythmes. Les soutiens ne sont pas nombreux :
ne vous sentez-vous pas un peu isolés ?
Eric Favey, secrétaire général adjoint de La Ligue de l’enseignement :
Nous avons éprouvé le besoin de publier notre communiqué, car nous
assistons, en ce moment, à l’énoncé d’un catalogue de problèmes et nous
sommes plutôt adeptes du catalogue des solutions.
Mais il faut aussi rappeler que deux syndicats enseignants ont pris
leurs distances avec la grève du 12 février, que certaines collectivités
territoriales sont déjà au travail sur la question des rythmes et que
les associations d’éducation populaire qui ont voté en faveur de la
réforme au Conseil supérieur de l’éducation (CSE) représentent un
travail annuel en direction de 6 à 7 millions d’enfants.
Ce ne sont pas des acteurs minoritaires sur le terrain !
Manifester en vue d’une réforme plus solide, tout en craignant de mettre
la démarche de refondation, n’est-ce pas un peu paradoxal ?
Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUIPP, principal syndicat dans le
primaire : Il faut se rappeler que les mesures telles que « plus de
maîtres que de classes » ne touchent pas l’ensemble des 330 000
enseignants du primaire, tandis que la réforme des rythmes va tous les
concerner.
Les enseignants ne demandent qu’à être convaincus du bien-fondé de cette
réforme, mais n’ont pas pu se l’approprier.
Que changeriez-vous dans le décret sur les rythmes scolaires ?
E. F : L’abandon de l’obligation d’organiser des activités périscolaires
et de leur gratuité nous semble préjudiciable.
S. S : Les conseils d’école ne sont pas suffisamment valorisés. Nous
voulons plus de souplesse et de possibilités de dérogations dans
l’organisation de la semaine et de la journée, pour pouvoir adopter les
choix de Toulouse et Poitiers, où deux mercredis sur trois sont libérés
: cela permettrait aux enseignants de les utiliser pour leurs temps
d’animation et de conférences pédagogiques.
Il faut aussi mieux prendre en compte les réalités du terrain des écoles
rurales et de montagne et leurs problématiques de temps de trajet. Et
revoir l’équilibre de l’année en jouant sur deux leviers : la question
des grandes vacances, qui n’est pas un sujet tabou pour nous, surtout si
cela peut permettre de réduire la journée de classe et la question du
zonage des vacances.
Rien que le fait de passer de 3 à 2 zones contribuerait à un meilleur
équilibre entre les semaines de classe et de vacances. Je rappelle à ce
titre que ce ne sont pas les enseignants qui ont demandé de ne pas
toucher aux vacances.
Les enseignants, directeurs d’école, inspecteurs, sont-ils en capacité
de se projeter dans des projets éducatifs territoriaux, en travaillant
de concert avec les autres acteurs de la communauté éducative locale ?
E. F : Nous organisons les rencontres de l’éducation à Rennes depuis
1998 et, avec les rencontres des projets éducatifs locaux (PEL) de
Brest, c’est la seconde manifestation sur ces questions (d’articulation
entre des temps scolaires, péri et extra-scolaires et plusieurs acteurs
locaux, NDLR).
Avec les PEL, les collectivités ont franchi un saut qualitatif dans
l’organisation de politiques éducatives locales. Nous travaillons depuis
suffisamment longtemps avec elles pour savoir qu’il est donc possible de
mener cette réforme, surtout qu’elle constitue une certaine
reconnaissance de ce que les collectivités développent depuis plusieurs
années.
De son côté, pendant 6 ans, l’école a semblé reconnaître que les
politiques éducatives locales peuvent créer un contexte de travail plus
favorable et des enseignants sont devenus acteurs de ces politiques
éducatives territoriales.
Mais au cours des deux dernières années, on a senti que les directives
des inspecteurs semblaient restreindre ces participations locales. Or,
l’école ne doit pas être la seule à dicter l’ordre du jour des
politiques éducatives territoriales.
S. S : C’est un chantier à construire. Il faut se donner le temps d’une
articulation cohérente entre la journée scolaire et périscolaire, chacun
restant dans son domaine de compétences.
Les peurs exprimées ici et là par certains syndicats enseignants de se
voir placés « sous la coupe » des maires sont-elles fondées ?
E. F : Ces peurs sont infondées. Mais, depuis 10 ans, les enseignants
ont le sentiment qu’on leur retire progressivement des choses et en
conçoivent un sentiment d’abandon. Ils ont l’impression d’être seuls,
pour faire face aux besoins éducatifs croissants de la population.
Jamais, avant les dix dernières années, on n’avait supprimé 90 000
postes dans ce secteur.
Aujourd’hui, la réforme des rythmes semble vécue, sur le terrain, comme
l’exigence de travailler plus sans revalorisation, ce qui n’est pas le
cas. On a le sentiment que les syndicats sont rattrapés par le
mécontentement qui a grandi au cours des 8 dernières années.
Mais on n’imagine pas un maire vouloir se mêler des enseignements : ils
expriment plutôt le souhait de voir les enseignants s’insérer dans leurs
politiques éducatives locales ou accepter de voir les salles de classe
utilisées quand elles sont inoccupées.
S. S : Je me refuse à entrer dans la polémique sur la territorialisation
de l’éducation, car j’estime qu’il existe un lien historique entre
l’école et la mairie, à maintenir au travers d’un partenariat constructif.
Mais la rédaction actuelle du décret ouvre la porte à ces craintes, car
ce texte donne la main aux collectivités pour décider d’un éventuel
allongement de la pause méridienne et du moment des activités périscolaires.
Le Directeur académique des services départementaux de l’éducation
nationale (Dasen) a certes le dernier mot, mais sur avis du maire.
Ce décret ouvre la possibilité de voir un maire ou un EPCI proposer une
organisation de la semaine non concertée avec les enseignants.
Ces derniers sont inquiets, ils ont peur que leur avis ne soit pas
suffisamment pris en compte. L’utilisation des classes pour accueillir
plus d’enfants pendant les temps périscolaires les préoccupe aussi, car
il s’agit de leur espace de travail.
Mais ce sont des crispations qui peuvent se régler dans le dialogue local.
Et maintenant ?
E. F : Il faudrait rassurer les enseignants sur leurs capacités à
prendre part aux politiques éducatives locales, mais sans prétendre tout
réglementer. Pour que la réforme prenne corps, il faut aussi que les
dirigeants affichent leur courage.
Nous avons l’impression que le ministre de l’Education le fait, mais il
ne doit pas être le seul : sa politique doit être soutenue par le
Premier ministre. Cette dernière porte en germes la reconnaissance de
l’extension d’obligation publique d’éducation. Elle représente un
progrès considérable, qui n’est pas suffisamment présenté comme tel.
S.S : Le travail avec le monde associatif et les animateurs va se
construire dans le temps. Il appartient aux collectivités d’agir en
facilitatrices des discussions. Nous constatons que plusieurs communes
mènent des concertations, envoient des questionnaires aux enseignants,
des propositions d’organisation de la semaine, se livrent à un grand
travail d’explication en ce moment. Pour pouvoir, après retour du
terrain, se décider sur 2013 ou 2014. C’est une bonne démarche.
Depuis octobre dernier, nous demandons en outre au ministre une
concertation élargie. Nous souhaitons aussi le report de la réforme à
2014, sauf dans les villes où tous les acteurs sont d’accord pour
l’appliquer en 2013.
Une réforme qui échouerait fragiliserait le reste des mesures qui vont
dans le bon sens. Nous attendons, avant le 31 mars, un geste fort du
ministère, pour sortir de l’impasse.
Il faut qu’il donne un mot d’ordre très ferme aux Dasen avant le 31 mars.