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Claude Alphandéry: «Il faut un secteur qui échappe à l’économie capitaliste»

Publié par : http://www.liberation.fr
Le : 4 novembre 2012
Par CLAIRE AUBÉ

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Interview Le «parrain» de l’économie sociale et solidaire évoque le rôle de celle-ci au sein de la société et la loi qui lui sera consacrée au printemps 2013.
A bientôt 90 ans, Claude Alphandéry continue à crapahuter dans tous les colloques sur l’économie sociale et solidaire (ESS) «parce qu’il se passe des choses formidables partout». L’ancien résistant, aujourd’hui à la tête du Labo de l’ESS, s’implique avec une fraîcheur intacte dans l’élaboration de la future loi sur le sujet.
Qu’est-ce qui relie les acteurs si divers de l’économie sociale et solidaire ?
Des valeurs communes, la volonté de conjuguer développement économique et progrès social. Le marché dominé par le capitalisme financier détruit et précarise l’emploi, creuse les inégalités, dégrade l’environnement.
Il y a donc de la place pour un secteur moins productif, mais tout aussi professionnel, qui ne délocalise pas, ne robotise pas, et répond à des besoins non satisfaits dans le logement, la santé, l’aide sociale. Le développement des entreprises de l’ESS est soutenable, il ne détruit pas l’environnement et favorise l’accès de tous à l’emploi. Ce dernier point me paraît essentiel quand on voit le niveau de chômage actuel. Les secteurs classiques, très compétitifs, auront besoin de moins en moins de main-d’œuvre. Que fait-on des plus faibles de notre société ? On les laisse sur le côté ? Quand j’entends le bruit fait par les entrepreneurs «Pigeons» alors qu’il y a tous les jours un plan social, je suis profondément choqué. Il y a des gens plus pigeonnés que les «Pigeons». L’ESS a-t-elle vocation à réparer les dérives du capitalisme financier ou porte-t-elle les germes d’un modèle nouveau ?
Jouer un rôle réparateur est capital. Mais on aura beau multiplier par deux ce que l’on fait déjà, par exemple le nombre d’emplois aidés, ça ne suffira pas à résoudre le problème des 5 millions de chômeurs. Il faut aller plus loin. Ce changement d’échelle a eu lieu dans le recyclage. Au départ, cette activité était toute petite ; aujourd’hui, c’est un secteur à part entière. Cela s’est produit aussi dans l’alimentation bio. Regardez la façon prodigieuse dont se répandent les Amap [Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne]. Certes, on n’arrivera pas à vendre 30millions de paniers bio, mais les Amap ont lancé un mouvement et inspiré beaucoup d’autres initiatives. Les consommateurs sont désormais sensibilisés à cette problématique. Je suis persuadé qu’il se passera quelque chose de cet ordre dans l’automobile.
L’ESS s’installe ainsi dans certains secteurs et pousse aux changements de comportements. Même si, bien sûr, l’économie doit rester plurielle.
On ne fera pas des Airbus via l’économie solidaire.
N’y a-t-il pas un risque de récupération par l’industrie «classique» ?
L’ESS est faite pour être récupérée, au sens d’irriguer l’ensemble de la société. Si certains de ses acteurs veulent répondre aux demandes de grands groupes et décident de créer une filière commune avec l’industrie privée, pourquoi pas. A condition de ne pas oublier leurs valeurs. Mais, même si je pense que c’est une bonne chose que les entreprises «classiques» s’intéressent aux questions soulevées par les précurseurs de l’ESS, cela ne veut pas dire que tout peut se faire à travers elles.
Prenons l’exemple de la RSE [responsabilité sociale des entreprises],
qui permet de tenir compte des questions sociétales et environnementales. L’autre jour, j’en parlais à des responsables de Danone, qui me racontaient des histoires fort sympathiques. Pour autant,
je leur ai dit : «N’oubliez pas que vous êtes dans un système cruel. Du jour au lendemain, si Nestlé décide d’une OPA, toutes ces belles actions peuvent être effacées.» Il faut un secteur qui échappe à l’économie capitaliste et soit soutenu par l’Etat.
Justement, l’ESS est composée à 80% d’associations très dépendantes de l’argent public. D’autres acteurs bénéficient aussi de telles aides.
Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?Il faut des ressources hybrides. L’économie solidaire ne se fera pas sans l’Etat, sans bénévolat, sans épargne solidaire. La loi sur l’ESS créera un label qui permettra de bénéficier d’avantages fiscaux et d’un accès privilégié aux financements de la BPI [Banque publique d’investissement], selon des critères exigeants qui différeront en fonction des secteurs et des formes d’activité. L’ESS sera placée au cœur des actions de l’Etat, via la création de nouveaux services ou la possibilité d’intervenir sur des marchés publics.

La gouvernance démocratique dans l’ESS est-elle vecteur de transformation sociale ou paralyse-t-elle les décisions ?

Quand on est engagé dans ce type de démarche, on ne peut pas le faire sans démocratie. Certes, il y a des progrès à réaliser. Des ego se manifestent. Les acteurs de l’ESS coopèrent mal entre eux. Mais la démocratie politique a bien mis du temps à fonctionner ! Nous sommes dans la biodiversité, dans l’économie plurielle. Je ne vois pas comment l’ESS peut être pensée sans la tension permanente entre l’économique et le solidaire, le local et le national, la norme et la souplesse.

CV. Claude Alphandéry.

Né en 1922, ancien résistant, Claude Alphandéry a d’abord été
banquier avant de s’engager, dès les années 80, dans l’économie sociale
et solidaire (ESS).
En 1991, il est nommé président du Conseil national de l’insertion par
l’activité économique. Il a créé l’association France Active, qui
facilite l’accès des projets solidaires au crédit.
Il préside aujourd’hui le Labo de l’ESS, un think tank soutenu par
la Caisse des dépôts, dont la vocation est de promouvoir et structurer
le secteur.

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