Propos recueillis par Philippe Frémeaux
Publié par : 
http://www.alterecoplus.fr/patrick-viveret-less-se-donner-une-nouvelle-ambition/00012818
Le : 27/12/2016
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Trop repliée sur sa dimension économique, l’économie sociale et 
solidaire doit renouer avec le projet sociétal et politique porté par 
ses pères fondateurs. Entretien avec Patrick Viveret, philosophe et 
cofondateur du collectif Roosevelt.
Quelle devrait être l’ambition de l’économie sociale et solidaire 
aujourd’hui ?
Penser l’avenir de l’économie sociale et solidaire (ESS) suppose de 
faire un détour par son passé. L’ESS s’est aujourd’hui en grande partie 
repliée sur son projet économique, à un moment où elle devrait au 
contraire renouer avec le projet sociétal, politique au sens le plus 
large du terme, porté par ses pères fondateurs : Pierre-Joseph Proudhon, 
Charles Fourier, Robert Owen ou encore Célestin Freinet. Leur projet 
était de proposer une alternative globale aux logiques de rivalité, de 
compétition, a fortiori de guerre, dans le domaine économique certes, 
mais aussi dans les domaines éducatif et culturel.
Le moment est venu de réinscrire l’ESS dans une vision sociétale et 
politique plus vaste
Nous vivons aujourd’hui une crise et des mutations sociétales, 
culturelles et politiques autant qu’économiques. L’ESS peut être une 
réponse, ou une partie de la réponse, si elle ne réduit pas son rapport 
au politique à un simple lobbying défensif auprès des acteurs publics en 
charge du secteur. L’ESS doit, bien au contraire, contribuer à 
l’alternative à construire face à l’épuisement de la démocratie de 
compétition, face à la montée des logiques de rivalité entre nations, 
mais aussi au sein des nations, avec le potentiel de guerre et de guerre 
civile qui en résulte. Le moment est donc venu de réinscrire l’ESS dans 
une vision sociétale et politique plus vaste. Le mouvement coopératif, 
mutualiste et associatif doit se donner une nouvelle ambition.
Donc, l’ESS doit porter un projet qui va au-delà de la dimension 
économique ?
Dire cela, ce n’est pas abandonner le terrain sur lequel l’ESS se 
déploie, c’est lui donner plus de souffle. C’est aussi permettre à des 
acteurs du domaine, qui ne sont pas prioritairement des acteurs 
économiques, comme les acteurs culturels, éducatifs, d’être parties 
prenantes de ce projet de société plus coopérative. En réduisant l’ESS à 
sa dimension économique, on contraint des acteurs avec lesquels elle 
entretient des rapports privilégiés, notamment au sein de l’éducation 
populaire, à se ranger sous une bannière réductrice.
Vous décrivez l’ESS que vous souhaitez, mais comment faire pour que 
l’ESS réellement existante s’engage dans cette voie ?
De multiples initiatives vont dans ce sens et dépassent, en actes, la 
réduction économiste du projet coopératif, mutualiste et associatif. 
Certes, elles ne se pensent pas nécessairement comme parties prenantes 
de l’ESS, mais elles s’inscrivent dans le sens souhaité. Des exemples ? 
Un mouvement comme le Printemps de l’éducation ou, dans d’autres 
domaines, les organisations qui gèrent les logiciels libres, ou 
Wikipédia, ou encore les mouvements qui mènent un travail, certes 
difficile, pour faire de la politique autrement. Bref, tout cela devrait 
converger, faire mouvement ensemble pour renouveler la démocratie dans 
toutes ses dimensions.
N’est-ce pas faire porter une responsabilité un peu vaste à l’ESS ?
Non. Car une de ses originalités, même si ce sont souvent des valeurs 
affichées plus que pratiquées, tient à ses formes démocratiques. Certes, 
leur spécificité les rend non directement transposables, mais elles 
peuvent tout à fait contribuer au débat sur la mutation qualitative de 
la démocratie.
L'ESS peut prendre sa place dans un mouvement qui concerne toutes les 
dimensions de notre vie sociale
Les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), par exemple, qui 
associent de manière coopérative les différentes parties prenantes à un 
projet, sont un point d’appui très intéressant. Au-delà, parce qu’elle 
mobilise des millions de bénévoles, l’ESS peut contribuer à la réflexion 
sur ce que sont les vraies richesses et ce que devraient être les 
finalités de l’activité économique. C’est ainsi qu’elle peut prendre sa 
place dans le mouvement vers des sociétés du bien vivre, un mouvement, 
une métamorphose, pour parler comme Edgar Morin, qui concerne toutes les 
dimensions de notre vie sociale : l’économie certes, mais aussi 
l’écologie ainsi que les enjeux culturels et sociétaux.
Philippe Frémeaux