La France compte aujourd'hui plus de 8 millions de personnes pauvres, selon les critères européens de pauvreté monétaire, dont 3,5 millions de salariés. 1/3 des SDF sont des travailleurs avec une feuille de paie.
Depuis trente ans, le « détricotage » du code du travail, les bouleversements dans le statut des salariés ont été à l'origine de nouvelles formes de pauvreté.
La logique dominante libérale, c’est à dire inégalitaire, à laquelle la majorité de la société a fini, de gré ou de force, par consentir, veut que le travail coûte trop cher.
Or, ce qui coûte trop cher à la société à présent, c’est la pauvreté qui s’est installée durablement dans un pays très riche.
Qu’on prenne le secteur du tourisme. La France est le 1er pays visité au monde par 78 millions de touristes qui dépensent 145 milliards d’Euros. L’Espagne est loin derrière avec 58 milliards.
Pourtant, si l’on compare les systèmes de protection des saisonniers-chômeurs dans ces deux pays on est surpris par l’écart du traitement réservé à ces salariés (très rentables). L’Espagnol aura 70% de son salaire antérieur lorsqu’il ouvrira ses droits au chômage ; le saisonnier Français sera frappé d’un « coefficient réducteur » qui l’abaissera à 50%.
L’employeur du tourisme espagnol est incité par un système de bonus malus à optimiser la durée des contrats ; le Français ne l’est pas : « Y a de la neige tu travailles, y a pas de neige, t’attend qu’on t’appelle ! Pas l’choix pas d’autre emploi. » dit Corinne, une saisonnière.
Il ne s’agit pas ici de faire la promotion du système social Espagnol. Mais Pierre Méhaignerie trompe son monde quand il déclare « la France est le seul pays à offrir 23 mois d’indemnités sans dégressivité aux chômeurs » et poursuit « C’est trop et cela ne facilite pas la reprise du travail. ».
Certes ce mensonge s’inscrit opportunément dans les actuelles négociations de l’UNEDIC et aux côtés du Medef.
Rappelons-lui que six chômeurs sur dix ne touchent rien. Qu’il faut avoir travaillé 4 mois, pour ouvrir des droits qui ne dépasseront pas la durée antérieure travaillée. Si l’on retire le délai de carence, on est loin de ces « allocations qui ne facilitent pas la reprise du travail ».
Je fais parfois le rêve, « déraisonnable », d’une courte entrevue avec ce sinistre ancien ministre entouré d’une dizaine de mes camarades chômeurs, intermittents du travail et du salaire qui sauraient lui faire, sans violence, ravaler mensonges et mépris.
Il est urgent que nos systèmes de « protection » qui sont terriblement défaillant s’adaptent aux réalités des contrats de travail de plus en plus émiettés. Les courts contrats trop fréquents (1 à 2 mois) doivent donner droit à ouverture de droits en matière d’assurance chômage. Les plus précaires cotisent comme leurs employeurs, mais ils passent au travers des mailles d’un filet trop lâches Ce filet n’est ni tissé ni par eux, ni pour eux.
A l’instar de l’Espagne il est temps que les employeurs soient dissuadés par des pénalités de recourir systématiquement aux contrats courts.
Les CDD saisonniers sont emblématiques de ce salariat dont beaucoup rêve ; un salariat totalement disponible et répondant sans contraintes aux aléas de l’activité économique.
La société des gagnants et des perdants montre son vrai visage : une société injuste, invivable pour des millions de pauvres et indécente pour les autres.
Les négociateurs de l’UNEDIC peuvent infléchir, un peu, le cours des choses en choisissant la solidarité. S’ils ne s’y résolvent pas, plusieurs centaines de saisonniers saisiront le TGI pour porter devant la justice, l’insupportable inégalité de traitement dont ils sont victimes et demander réparation, comme le firent les recalculés en 2000.
Richard Dethyre animateur du Forum social des saisonniers