par philippe Zarifian, Universitaire
24.10.10
L'usage abondant, par le Président de la République et son gouvernement, du mot « réforme » est assez étrange. Il ne correspond pas à la signification ordinaire que l'on donne à cette notion. Tout d'abord, à la notion de « réforme » est en général associé un progrès dans la situation des personnes concernées. Un pouvoir ne réforme pas pour que la situation se dégrade, du moins en principe ! Or si l'on prend la quasi-totalité des réformes impulsées par l’actuel exécutif, il est incontestable qu'elles précipitent cette dégradation, en particulier pour les milieux populaires et classes moyennes.
Comment alors les légitimer ? Le seul argument utilisé renvoie à des « contraintes » principalement financières, sans que l'on ne nous précise comment ces dites contraintes se sont formées et quelle est la responsabilité du gouvernement qui souhaite, ces contraintes une fois établies, « réformer ». Par exemple, qui est responsable du déficit budgétaire et de l'endettement externe ? Qui est responsable de la baisse continue, depuis bientôt 25 ans, des cotisations sociales que paient les entreprises ? Qui gère l'État, et ceci de puis des décennies ? Qui accepte que des sommes astronomiques s'accumulent et circulent dans les marchés financiers mondialisés ? Bref : où se situe donc la responsabilité de l'existence de ces fameuses « contraintes » ?
Voici donc : on réforme, avec le résultat non dissimulé que la situation de millions de personnes va — à nouveau, car les réformes se suivent et se renforcent — se dégrader. Comment pourrait-on désirer une telle réforme ? Ou faut-il croire que nous soyons tous devenus des « désespérés », qui admettent à l'avance leur malheur ? Le plus pittoresque est que le gouvernement réformateur tente de prendre la posture du « courageux » : nous savons que cette réforme est difficile, mais elle est « nécessaire » et nous avons le « courage » de la mener à bien, malgré toutes les oppositions qu'elle suscite. Une noble attitude morale face à des effets objectifs incontestablement négatifs : on se vante d'avoir le courage de le faire, et avec « fermeté » !!! Je te tape dessus, je sais que cela te fait mal, mais admire mon courage ! En réalité, une réforme qui produit une situation plus dégradée qu'avant, devrait déjà être nommée : une contre-réforme.
Mais il y a plus : quelle est l'orientation des réformes successives, qui, depuis le milieu des années 80, impulsées tantôt par la gauche, tantôt par la droite, avec certes des différences de style, de manière de faire, mais des objectifs identiques ? Elle est d'une grande simplicité : il s'agit de détruire l'État Social et le système de gestion paritaire qui ont été mis en place à l'issue de « vraies » réformes : celles menées sous le Front Populaire et dans l'immédiat après-guerre. C'est en ce sens qu'il s'agit bien de contre-réformes puisqu'elles visent explicitement à détruire les institutions, droits et effets des véritables réformes prises dans ces périodes. Ce sont des réformes qui, avant tout, détruisent, sans rien construire. Elles démolissent, pan après pan, les réformes sociales antérieures. Elles ne proposent strictement aucun nouveau « deal » social.
Penchons-nous maintenant sur le type de société que ces contre-réformes finissent par produire et qui, nous promet-on avec la réforme des retraites, va encore davantage prendre forme ? C'est très simple : nous retournons vers une société barbare, réglée, non par des droits, devoirs et garanties, mais la double loi du plus fort et du plus riche. Nous retournons vers le 19e siècle. Tel est bien l'avenir qu'on nous promet, avec le « courage » de l'imposer !!! L'avenir est derrière nous !
Les jeunes doivent désormais savoir que, face à des droits sociaux qui sans cesse régressent, c'est à eux, individuellement, de garantir leur propre avenir personnel. À eux de macher sur les pieds des autres, de vouloir s'enrichir, d'acheter un appartement à crédit, d'ouvrir un compte d'assurance vie ou équivalent, de préparer, plus de 40 ans à l'avance leur retraite, s’ils ne veulent pas finir leur vie dans la misère. Certains politiques s'offusquent ! Comment des jeunes peuvent-ils se mobiliser sur des mesures qui ne les concerneront que dans plus de 40 ans ? Mais ces politiques oublient une chose toute simple : chacun, quel que soit son âge, vise à se projeter dans l'avenir, à conduire un projet de vie, une vie la meilleure possible et dans la durée. Si un tel projet se heurte à un horizon de dégradations connues à l'avance, comment, dans le meilleur des cas, ne pas se révolter, et dans le pire des cas, quand on en a les moyens financiers, donc pour les « héritiers », ne pas sombrer dans des démarches purement égoïstes ?
Réformes courageuses ? Non : des contre-réformes cyniques. Et intellectuellement nulles, dénuées de toute imagination, de toute capacité d'invention.