Travailleurs saisonniers, les « grands perdants » de la réforme
Dans les Hautes-Alpes, le tourisme représente 80 % du PIB. Mais il n’y a pas d’activité touristique sans saisonniers. Or, ceux-ci vivent de plus en plus dans une insécurité sociale avec comme perspective de percevoir une retraite a minima, compte tenu du morcellement de leur activité. Photo Le DL/Archives
Ils génèrent quelque 146 milliards de chiffre d’affaires et pourtant ils pourraient être les oubliés de la réforme des retraites. Les amendements déposés en leur faveur par le député haut-alpin Joël Giraud (PRG) ont été retirés par le gouvernement. Les saisonniers pluriactifs ou poly-pensionnés, puisqu’il s’agit d’eux, sont-ils appelés à « être les grands perdants » de la réforme, ainsi que le craint Joël Giraud.
« Ces salariés sont fortement désavantagés et la règle des 25 meilleures années n’arrange pas les choses ». Et de préciser : « La méthode de calcul utilisée pour la retraite des poly-pensionnés est défavorable par rapport à celle qui s’applique aux personnes ayant toujours relevé du même régime. Elle s’appuie sur les 25 meilleures années mais à l’intérieur de chacun des régimes auxquels les salariés pluriactifs ont été affiliés. Elle est fatalement minorée dans chacun d’eux, du fait d’une durée d’assurance incomplète et, surtout, d’un début de carrière tirant artificiellement vers le bas le salaire annuel moyen de référence du premier régime d’affiliation ».
Un régime de retraite défavorable
« Le revenu annuel d’un saisonnier étant le plus souvent constitué d’une succession de contrats, les saisonniers pluriactifs souhaitent que leur retraite prenne en compte les courtes périodes d’activité ainsi que les périodes d’inactivité entre deux saisons de travail. Le tourisme, la restauration, l’agriculture sont autant de secteurs d’activité qui ont besoin de ces travailleurs, qui font le choix de travailler de façon irrégulière, soit à certaines périodes de l’année, soit lorsque l’occasion se présente. Ils représentent une force de travail indispensable », argumente le député dans son amendement.
« Or, ces personnes doivent travailler 200 heures au cours du trimestre, sous le même régime, pour que leur droit à la retraite soit validé. Elles ont donc beaucoup de mal à rassembler le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein. » Le parlementaire demandait de « mettre fin à cette injustice en définissant une convergence entre les règles des différents régimes de retraite. » Il n’a pas été suivi.
Le cas des saisonniers pluriactifs n’est pas mentionné dans le texte de la réforme, alors même qu’en juin, quand le député des Hautes-Alpes avait soulevé cette épineuse question, Eric Woerth, le ministre chargé de la conduire, avait « assuré » que le gouvernement « la reverrait et l’étudierait » au cours de l’été.
Il pourrait y avoir urgence puisque, selon Joël Giraud, la proportion des saisonniers pluriactifs parmi les retraités tend à « augmenter, représentant aujourd’hui près de 40 %. » Qu’en sera-t-il demain avec les deux millions d’emplois saisonniers que compte la France et la précarité qui se généralise ?
Précarité de l’emploi et pénibilité liée au statut
« Quand le système par répartition a été créé, le saisonnier était marginal. Aujourd’hui, ce qui devient marginal, c’est le CDI à temps plein », ironise Jean-Claude Eyraud, membre du conseil national de la montagne, représentant la CGT, qui a planché avec le député PRG des Hautes-Alpes sur le sujet des retraites des saisonniers. « Leur problème, c’est de valider des annuités. Celui qui travaille cinq mois d’affilée le pourra. Celui qui travaillera par petits bouts aura d’énormes difficultés. Il va se retrouver au minimum de pension. »
Le sociologue Richard Dethyre, l’un des organisateurs du premier forum social des saisonniers qui se déroulera à Aubagne les 3, 4 et 5 décembre prochains, abonde dans le même sens. « Dans le tourisme, les travailleurs sont fragilisés par leurs CDD à répétition, ne perçoivent pas la prime de précarité, leurs Assedic sont minorées et leur retraite est calculée sans tenir compte de cette intermittence non choisie. Les saisonniers sont dans une insécurité autant sociale que morale », obligés qu’ils sont de retourner chaque fin de saison se réinscrire, en étant « sûrs d’être pénalisé sur le montant d’allocations minorées par avance. »
Ne pourrait-on pas parler là aussi de pénibilité ? Si elle est consécutive bien sûr des tâches liées à l’activité, elle l’est aussi, parfois, aux conditions dans lesquelles celle-ci s’exerce.
« La pénibilité est bien réelle pour certains saisonniers : troubles musculo-squelettiques, flexibilité, précarité du travail, horaires décalés, horaires morcelés avec grande amplitude de la journée de travail, notamment dans les remontées mécaniques, le service des pistes, le commerce, l’hôtellerie-restauration… », énumère le député Joël Giraud dans son amendement rejeté.
Et de soutenir qu’« il est tout à fait possible d’exercer un métier pénible sans forcément avoir une incapacité physique supérieure ou égale à 20 % », seuil retenu par le gouvernement pour la prise en compte de la pénibilité.
par Marie-Noëlle CACHERAT le 23/09/2010 à 05:00