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La mise en disparition du travail et ses effets pathologiques et sociaux


par philippe Zarifian, professeur des universités en sociologie

elsametal.jpgDans les propos tenus au sujet de la vague de suicides à France Télécom, on a beaucoup insisté sur la « souffrance au travail », thème devenu une véritable idéologie, c’est-à-dire un énoncé d’évidences qui ne se discutent même pas, qui s’imposent à la manière d’un réflexe.

Or, dans souffrance au travail, il y a le mot « travail ». Outre que la souffrance n’est qu’un effet, un ressenti, qui demande diagnostic et donc qui demande à être cerné et expliqué (quel type de souffrance ? suite à quoi ?), il me semble symptomatique que l’on n’ait pratiquement jamais parlé du rapport des salariés au travail. Ce ne sont pas les individus qui demandent à être soignés. C’est le rapport au travail.

Or nous assistons, depuis quelques années, mais avec une généralisation dans la période actuelle, à une véritable « mise en disparition du travail ». L’engagement dans le travail et la qualité de ce dernier ne sont plus vus, appréciés, discutés, évalués et moins encore reconnus. La généralisation des pratiques de contrôle par « objectifs/résultats », que France Télécom a connu, comme bien d’autres entreprises, masque l’essentiel : la qualité du travail et son efficience. On se polarise sur l’amont (les objectifs) et sur l’aval (les résultats) et on ne voit plus l’essentiel : le travail lui-même.

Cette « mise en disparition du travail » se produit au moment où une mutation cruciale est en jeu. Pour des multiples raisons, le travail n’a plus lieu d’être objectivé sous forme de tâches à réaliser. Il devient l’expression directe du pouvoir d’action de ceux qui le réalisent, de leur intelligence des situations et de leur prise d’initiative. Autrement dit : de leur compétence. Or en organisant sa « mise en disparition », le management se prive de toute possibilité sérieuse de développer et reconnaître les compétences réellement mises en œuvre. On voit alors fleurir des référentiels de compétences, souvent réduits à la « capacité à » occuper tel ou tel emploi, compétences, imaginées et prescrites par des personnes spécialisées. On recrée l’équivalent d’un bureau des méthodes taylorien, centré désormais sur ces fameuses « capacités à ». Ceci engendre un déni du véritable travail réalisé et des véritables compétences mobilisées, qui dégrade les relations entre salariés et management et met la santé des salariés en danger.

On se retrouve dans des pratiques encore pires que le taylorisme, car ce dernier avait au moins pour mérite de réaliser une analytique du travail, de s’y intéresser. Le travail devenant invisible, le management va progressivement glisser sur des prescriptions de comportement et/ ou se référer à un usage mécanique et soit disant prévisible de la technologie.

Non seulement on nie le contenu du travail, mais on nie en même temps le pouvoir d’action et d’initiative des salariés. Plus encore : on les nie en tant qu’êtres humains. Le déni considérable qui en résulte, en particulier pour les personnes qui ont le sentiment justifié d’être utilisées bien en-dessous de leur  pouvoir d’agir potentiel et de leur compétence ou, à l’inverse, d’être mises face à des situations et injonctions de résultat pour lesquels l’entreprise ne les a préparés, n’a pas créé les conditions nécessaires à la réussite de leurs actions, est la cause première de ce que l’on appelle la « souffrance au travail ».

Il faut donc en finir avec l’idéologie de la commisération et de la culpabilité et redécouvrir pleinement en quoi consiste le travail, sa qualité, ses difficultés, mais aussi ses voies de progression et ses potentialités et établir, dans les entreprises, un véritable dialogue sur la nature des compétences qu’il sollicite et leur reconnaissance.

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