L’actualité médiatique vit au rythme d’un zapping étourdissant, dans lequel se succèdent les polémiques. Denis Sieffert l’écrit dans son dernier édito de l’hebdomadaire Politis : « Pour atteindre l’intensité sonore qui la placera au-dessus du tumulte ambiant, une information doit de nos jours être propulsée par ce carburant puissant et bon marché : la polémique ». Depuis la rentrée, la réponse à la crise du capitalisme, la faim dans le monde ou l’avenir de nos libertés n’ont jamais suscité autant d’intérêt médiatique que la nomination de Jean Sarkozy à l’EPAD, « l’affaire Frédéric Mitterrand » ou plus récemment la main malheureuse de Thierry Henri. Qu’importe le contenu, pourvu qu’on ait l’ivresse ! La posture et le scandale : voilà l’événement. L’initiative sur l’école organisée il y a une quinzaine de jours par un courant du PS à Dijon fut de ce point de vue frappante. Ce qui a été abondamment couvert, c’est la polémique suscitée par la présence de Ségolène Royal. Le duel Peillon/Royal, l’échange de noms d’oiseaux, a totalement pris le dessus sur ce qui s’est dit dans les tables rondes. A tel point que je n’ai trouvé nulle part dans les grands médias ce qui s’est raconté sur l’école, thème autrement plus intéressant que les batailles de courants et de leadership. La guerre de positionnement des personnalités a pris le dessus sur l’affrontement des idées. La visibilité médiatique d’une Rama Yade à droite ou d’un Manuel Valls à gauche est directement liée à leur capacité à faire polémique, à détonner dans leur propre camp. C’est une méthode aujourd’hui pour sortir du lot. Les deux candidats à la dernière présidentielle le savent bien, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal : c’est pour l’un et l’autre une part de leur recette. Si l’on veut exister médiatiquement, rien de mieux que de se positionner différemment des autres, d’avoir le sens de la formule ou de lancer une « petite phrase » assassine sur l’un de ses camarades.
Or, s’il est vrai que la polémique peut être porteuse de débats réels et profonds en soulevant de vraies questions de fond, elle appauvrit souvent l’échange public par le caractère binaire de ses termes – on doit être pour ou contre. Elle va aussi de pair avec une temporalité éclair, qui nuit à la maturation et la qualité du débat, même si l’enjeu soulevé est important. Autrement dit, la polémique comme aliment principal de l’actualité fait le lit des raccourcis de la pensée. Elle déforme également souvent la vision du réel : par exemple, la burqa mobilise tous les médias alors que, d’après les RG et quoique le chiffre ait quelque chose d’absurde, il y aurait 367 femmes qui porteraient la burqa. Force est de constater la disproportion entre le bruit engendré et l’énergie mobilisée, d’une part, et la marginalité du fait, d’autre part… Que si peu de femmes puissent ainsi « menacer la République », comme on nous le dit partout, ne lasse pas de me laisser perplexe…
La succession de polémiques, montées en boucle jusqu’à notre écœurement, élude en partie les grands enjeux de notre époque. Une polémique en zappe toujours une autre. La vitesse avec laquelle on passe à autre chose ne permet souvent pas l’émergence des alternatives et des réelles lignes de fractures en termes de réponses. De quoi nous donner le tournis, alors même que les boussoles pour nous orienter politiquement sont branlantes. Comme à grande échelle les réponses font pour l’essentiel défaut ou en tout cas n’apparaissent pas de manière claire et identifiable, la polémique finit surtout par occuper le paysage médiatique en donnant l’illusion que des clivages existent, puisqu’il y a polémique, et que des réponses existent, puisque celles-ci prennent fin et vite. Pour conclure, disons que la polémique à haute dose comble une part du vide politique et favorise en bout de course l’idéologie dominante.