Publié par : http://www.novethic.fr
Le : 20-06-2012
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Grande voix du Sud contre la mondialisation néolibérale, Prix Nobel
alternatif 1993, Vandana Shiva a fondé en 1990 l'organisation Navdanya
qui milite pour la biodiversité et contre les OGM et la brevetabilité du
vivant. A quelques jours du Sommet Rio+ 20, elle explique ses attentes
mais aussi ses vives critiques sur les négociations internationales.
Novethic : Le monde a beaucoup changé depuis le Sommet de la terre qui
s’est tenu à Rio en 1992. Quels ont été, à vos yeux, les plus grands
changements ?
Vandana Shiva : Les changements majeurs des ces vingt dernières années
ont été la naissance de l’OMC, l’entrée de la globalisation dans un
nouvel âge et la liberté d’action de plus en plus grande laissée aux
multinationales du fait d’un processus de dérégulation du commerce et de
la finance. C’est ce processus de dérégulation qui est à l’origine de la
crise mondiale dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. C’est lui
qui est à l’origine de la crise de la dette de la zone euro. C’est lui
qui tue nos agriculteurs (250 000 paysans se sont suicidés en Inde ces
vingt dernières années). Tout est lié. La prise de pouvoir par des
sociétés transnationales, qui régentent de plus en plus nos vies et
dominent le monde, s’est traduite par l’affaiblissement des Etats et de
la démocratie, et par l’érosion de la démocratie économique :
fragilisation des droits des travailleurs et effritement des retraites.
Nous assistons depuis vingt ans à l’explosion d’une bulle forgée sur des
mythes tels que la croissance du PIB, qui entraîne dans sa chute de
nombreux hommes et femmes. Tout en renforçant les institutions mises sur
pieds en 1992, comme la Convention sur la diversité biologique et la
Convention cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, il
nous faut, aujourd’hui, re-réguler le système de manière démocratique.
Qu’attendez-vous de Rio + 20 ? Pensez-vous qu’un réel changement peut
émerger de ce sommet ?
Le changement viendra de vrais rassemblements, de rassemblements
diversifiés. Et non d’un groupe de pays inféodés à des multinationales
comme Monsanto fortement impliquées dans la création de l’OMC. Ce sont
ces multinationales qui cherchent à démanteler les traités sur le
changement climatique, la limitation des gaz à effet de serre et la
protection de la biodiversité. Ce sont elles qui marchandisent la
nature. Ces Etats viendront à Rio pour repeindre en vert cette économie
de la cupidité en se dissimulant derrière le paravent d’une « économie
verte ». Les Etats croient diriger le monde ; ils ne dirigent rien du
tout et ne construisent rien de nouveau. Ils se contentent de tenter de
sauver un modèle à bout de souffle, destructeur et paralysant. Le
système financier est devenu ingérable. Sans l’argent des contribuables
qui a permis son sauvetage, il aurait déjà disparu. A côté du Sommet des
Etats se tient le sommet des peuples, des mouvements qui militent pour
un développement écologique et véritablement durable, pour la justice
sociale et la démocratie. Ce sera un bras de fer entre deux visions du
monde, entre deux paradigmes opposés. Le résultat de ce combat entre ces
deux visions du monde déterminera le futur de l’humanité. En démocratie,
ce sont les peuples qui gouvernent et décident des changements. Nous
avons, depuis 300 ans, fondé nos vies, nos sociétés, nos économies sur
les droits des capitaux. Il nous faut maintenant réfléchir à la façon de
nous recentrer sur les droits de la nature et les droits des hommes qui
font partie intégrante de la nature. Je demeure optimiste. Le processus
de transformation est en route.
Le premier ministre du Bhoutan, Jigme Thinley, a présidé en avril
dernier à l’ONU une conférence sur le thème du Bonheur national brut,
cet indicateur étant là-bas une véritable statistique nationale
officielle. Cet outil pourrait-il aider la communauté internationale à
définir un nouveau paradigme économique ?
Oui, je le pense. Car, le Bonheur national brut confère aux personnes le
sens de leur propre dignité. Les membres de la délégation Bhoutanaise,
emmenée par le roi et le premier ministre, venus assister à cette
réunion internationale à l’ONU, ne portaient pas de costumes ni de
cravates, mais leurs habits traditionnels. Ils ne se sont pas pour
autant sentis inférieurs. Le Bonheur national brut permet aux gens
d’être sûrs et fiers d’eux-mêmes parce qu’il promeut une certaine vision
du monde et le sentiment d’une interdépendance mutuelle, le sentiment
d’être inextricablement lié aux autres et à ce qui vous entoure. Le BNB
permet en outre de prendre en compte les valeurs profondes qui créent
une société humaine saine et équilibrée : le respect de l’autre -au lieu
de l’avidité qui détruit nos sociétés- et le respect la nature. Il prend
en compte le bien être des individus plutôt que le niveau de profit des
banques. Adopter un nouvel indicateur de richesses constituerait un
véritable antidote à notre monde consumériste. En redéfinissant ce
qu’est le bonheur, vous redéfinissez en même temps les notions de
satisfaction et de satiété.
Vous avez lancé en début d’année une Campagne internationale pour la
souveraineté des semences ? Quels sont ses objectifs ?
Nous espérons, à travers cette campagne, pouvoir relier les milliers de
mouvements luttant à travers le monde pour la liberté des semences comme
Kokopelli en France qui vient d’obtenir un premier succès devant la Cour
européenne de justice. Il s’agir d’agir globalement en construisant une
force internationale capable de faire face aux multinationales.
Nous voulons créer des liens entre tous les opposants à la biopiraterie.
Chaque mouvement, devra d’ici le début du mois d’octobre, écrire sa
propre histoire, celle de son combat contre la biopiraterie, contre le
monopole des multinationales de l’agro-chimie et pour faire vivre la
liberté des semences. L’an passé, nous avons publié un rapport sur les
OGM qui témoigne de l’échec de cette technologie partout dans le monde,
en Amérique latine, en Asie comme en Afrique. Le 2 octobre, date de
l’anniversaire de Gandhi, nous organiserons une journée mondiale de la
non-violence et de la désobéissance civile pour témoigner de notre
opposition aux lois injustes. Le 15 octobre, date de la Journée mondiale
de l’alimentation, nous organiserons une grande campagne internationale
pour promouvoir la cause de la liberté de l’alimentation auprès du grand
public et des hommes politiques.
Vous évoquez Gandhi. Est-ce que les principes économiques gandhiens sont
encore pertinents, aujourd'hui, dans notre monde globalisé ?
Ils sont encore plus pertinents aujourd’hui que dans la seconde moitié
du XXe siècle. Gandhi était un véritable visionnaire. Il a pressenti ce
que notre monde deviendrait. Lorsque, dans le secteur du textile, la
révolution industrielle anéantit l’artisanat indien, il choisit le
symbole du rouet qu’il utilisait pour filer son habit (le dhoti) et
démontrer que chaque indien pouvait ainsi, par des gestes simples,
s'affranchir de l'impérialisme anglais. Nous avons fait des grains, le
rouet d’aujourd’hui, l’emblème de notre combat pour la protection des
semences. Pour Gandhi, les hommes ne seront libres que quand ils auront
reconquis leur liberté économique, la liberté de satisfaire par
eux-mêmes leurs propres besoins. Le concept de swaraj (gouvernement par
soi-même) forme avec celui de satyagraha (le combat pour la vérité) et
de swadeshi (autoproduction) les trois piliers de la liberté. Le
satyagraha, le combat pour la liberté, est essentiel aujourd’hui. Les
racines de la liberté résident dans notre courage à dire non aux lois
injustes. C’est ce pouvoir dont nous avons le plus besoin aujourd’hui.
Le pouvoir de dire non aux dettes injustes, à l’extraction désastreuse
des gaz de schiste, aux royalties sur les semences injustement prélevées
par les transnationales...
Propos recueillis par Eric Tariant
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