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Primaires à gauche : la bonne idée ? (chronique France Culture)


primaires-socialistes.bmpPuisque ce mois de septembre politique est saturé par l’organisation de primaires pour désigner le candidat du PS et du PRG à la présidentielle, il n’est pas absurde de revenir sur cette idée. Ses promoteurs y voyaient le moyen de contribuer à moderniser la démocratie et à refonder la gauche, en répondant à la crise de leadership. A l’heure où les organisations politiques paraissent essoufflées, recroquevillées sur elles-mêmes, cette procédure visant à ouvrir les partis sur la société, à associer le plus grand nombre au choix de candidature, est apparue comme un bol d’air. L’idée s’est vite imposée avec la force de l’évidence, ses détracteurs apparaissant comme les survivants d’un vieux monde.

Pourtant, la critique de fond mérite qu’on s’y arrête. Professeur de science politique à l’université Lille-II, Rémi Lefebvre vient de publier aux éditions Raisons d’agir : Les primaires socialistes. La fin du parti militant. Selon lui, les primaires ne seraient que “l’envers de la clôture du parti”, une “réponse institutionnelle que les socialistes, de plus en plus repliés sur leurs jeux et leurs enjeux propres, ont apportée à l’échec de la “rénovation” du parti et à son manque d’ancrage social”. Il y voit une prime à la personnalisation et aux logiques d’opinion à court terme, une solution en phase avec un monde médiatique où les sondages d’opinion et les petites phrases font la pluie et le beau temps. Rémy Lefèbvre doute de la participation des catégories populaires à ce processus de désignation. Il perçoit donc la primaire plutôt comme un événementiel démocratique que comme un temps de remobilisation populaire. Surtout, le chercheur y voit une véritable rupture dans la conception du parti. Les militants se voient dépossédés d’une prérogative importante, ce qui rend le fait de militer moins attractif.

Dans le mensuel Regards de septembre (mensuel que je co-dirige), l’historien Roger Martelli enfourche la critique. En dessaisissant partiellement les militants, le choix de la primaire dévalorise l’engagement pérenne, au profit de la mobilisation électorale conjoncturelle, et donc du calcul de circonstance : « On écarte théoriquement un danger, celui de l’ossification partisane. En réalité, on risque de délégitimer l’engagement militant de long souffle. » L’intellectuel communiste ajoute qu’en « mettant la totalité de la mécanique partisane au diapason de l’élection présidentielle, on légitime un peu plus la logique politique qu’elle porte. Or, cette logique est une des racines de la crise civique contemporaine. Là encore, on fait le choix de l’efficacité à court terme (la « bonne technique » de sélection des candidats) contre la logique de politisation à long terme ». Roger Martelli pointe également un effet pervers rarement évoqué : la primaire accentue le tropisme vers le centre. Pour la social-démocratie d’aujourd’hui, explique-t-il, « s’il ne faut pas trop perdre sur la gauche, l’essentiel se joue au centre, notamment dans les franges déçues par l’exercice du pouvoir du camp adverse ». La primaire serait donc une réponse technique pour un PS recentré. L’espace militant étant réputé trop sensible à la « propension identitaire » (un candidat qui « incarne » au mieux le coeur de la gauche), on constitue un corps électoral interne suffisamment large pour préfigurer le corps électoral réel. « Erreur fondamentale de perspective », nous dit Roger Martelli car « en situation de crise civique, ce sont les noyaux de mobilisation de la droite et de la gauche qui sont en question. Et quand la crise économique se fait systémique, ce n’est pas vers les régulations marginales que se noue son issue ».

On ne peut prêter toutes les vertus ni tous les vices à l’organisation de primaires. Je suis sensible aux effets pervers que je viens de citer mais je mets au crédit de l’idée de primaire le parti pris de l’expérimentation, de la recherche nécessaire de formes modernes d’implication politique. Les primaires disent en creux la panne des partis et le besoin profond de novation. Si l’on veut mieux y répondre, il faut encore se presser le citron…

Clémentine AUTAIN

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