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Chronique France Culture de Clémentine Autain

Chute du Mur : qu’avons-nous fait de ces vingt ans ?

Chronique France Culture

Le 9 novembre, nous célébrerons la Chute du Mur de Berlin. Presse, édition, audiovisuel : les festivités ont déjà commencé. L’Etat français a même prévu un grand spectacle musical place de la Concorde à Paris, organisé pour la modique somme de 975.000 euros qui ne sera pas payée par le contribuable mais par de grandes entreprises telles que Areva, EADS ou Total. Belle ironie. La tonalité générale de ce vingtième anniversaire impose une seule lecture, une seule vérité, celle univoque d’un mur dont la chute serait synonyme de liberté. Le regard sur ce que fut la réalité des pays de l’Est ne connaît ni la nuance, ni la complexité. Et pour cause, toute approche plus contrastée est suspecte et assimilée à la caution d’un régime abject, responsable de millions de morts. Les Unes des très nombreux suppléments ne parlent que d’une dimension de l’événement, réelle mais insuffisante, celle de la liesse d’une libération. En 1989, j’étais adolescente et j’apprenais déjà dans les manuels scolaires les désastres du stalinisme, les goulags, la pénurie. Dans la seconde moitié des années 1990, la pensée libérale de la « fin de l’Histoire » laissait entendre que, pour avoir voulu dépasser le capitalisme, le communisme au pouvoir ne pouvait que devenir un totalitarisme mortifère. Le Livre noir du communisme, sorti en 1997, était bâti tout entier sur cette foi. Puisque le soviétisme n’avait pas réussi à le dépasser, le capitalisme était indépassable ; toute théorie de la révolution serait donc, par fondation, une pensée « alibérale » et donc « totalitaire »…

Cette longue expérience du communisme des pays soviétiques était plus riche que ces simplifications. Même dans ses échecs. Nous pourrions nous en laver les mains. Les tenants d’une alternative politique pourraient dire qu’ils n’ont rien à voir avec cette histoire. Certains dirigeants communistes osent aujourd’hui l’affirmer. Mais peut-on s’en tirer en faisant l’autruche ou par le déni ? Tous ceux qui rêvent d’une alternative ont maille à partir avec cette histoire. Parce qu’elle fut la forme la plus aboutie, la plus pérenne d’une alternative au capitalisme. Il faut donc comprendre. Le communisme ou le socialisme, tels que l’ont imaginé des intellectuels engagés comme Marx ou des foules d’utopistes debout, ne peut être assimilé à la réalité de ce que furent ces régimes. Mais, en pensant à aujourd’hui et à demain, il faut bien comprendre comment un ensemble d’idéaux ont pu déboucher sur la bureaucratie, l’autoritarisme et l’inefficacité au lieu de répondre aux besoins et aux aspirations populaires. Il faut tout autant prendre la mesure de l’ampleur de cette expérience. Sur les questions cruciales qui nous hantent aujourd’hui encore, des réponses ont été apportées. Pourquoi ont-elles échoué, comment reprendre le sujet ? Par exemple, quelle autre forme de motivation, de mobilisation des subjectivités que la consommation ou la menace ? Comment concevoir la radicalité des ruptures et le temps des êtres humains, nécessairement plus lent ? Que faire de l’Etat ? Comment assurer la sécurité de la vie et ne pas enfermer les uns et les autres dans des chemins étouffants ? Qui dira que ces questions ne sont plus les nôtres ? Notre regard ne peut se résumer à la seule question du goulag, quelle qu’en soit l’abjection.

En 1989, un monde l’a emporté sur l’autre, en gagnant au final la longue confrontation de la guerre froide. Mais le capitalisme n’en a pas été légitimé pour autant. Vingt ans après, nous cernons mieux les termes du dilemme. Les révolutionnaires du XXe siècle n’avaient pas tort de vouloir remettre en question les logiques fondamentales des sociétés du capital. Mais la manière dont ils s’y sont pris pour y parvenir les ont placés au final devant un cuisant échec. En cela, ce que l’espace social, politique et intellectuel critique fera de cet héritage douloureux est l’une des clés de la redéfinition d’une alternative émancipatrice crédible et durable. D’où ma question : qu’avons-nous fait de ces vingt ans ?

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